Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/637

Cette page a été validée par deux contributeurs.
633
LE SCHAH-NAMEH.

l’argent jusqu’aux genoux ; mais, comme il n’y a pas eu de grandeur dans sa famille, il ne peut pas entendre prononcer le nom des grands. »

Le mépris ne saurait être plus poignant ; tout en se vengeant, le poète n’oublie pas de se louer : l’injustice en donne le droit. Un beau mouvement de colère et de fierté a dicté les paroles suivantes, dont quelques-unes rappellent d’une manière frappante les célèbres vers d’Horace, ainsi imités par Lebrun :

Enfin, grace au dieu qui m’inspire,
Il est fini, ce monument
Que jamais ne pourront détruire
Le fer ni le flot écumant.

Et Firdousi ne connaissait pas Horace.

« Ô roi ! je t’ai adressé un hommage qui sera le souvenir que tu laisseras dans le monde ; les édifices que l’on bâtit tombent en ruines par l’effet de la pluie et de l’ardeur du soleil ; mais j’ai élevé, dans mon poème, un édifice immense auquel la pluie et le vent ne peuvent nuire. Des siècles passeront sur ce livre, et quiconque aura de l’intelligence le lira… Pendant trente ans, je me suis donné une peine extrême ; j’ai fait revivre la Perse par cette œuvre persane, et, si le roi n’était un avare, j’aurais une place sur le trône. » La satire se terminait ainsi « Et voici pourquoi j’écris ces vers puissans ; c’est pour que le roi y prenne un conseil, qu’il connaisse dorénavant la force de la parole, qu’il réfléchisse sur l’avis que lui donne un vieillard, qu’il n’afflige plus d’autres poètes, et qu’il ait soin de son honneur ; car un poète blessé compose une satire, et elle reste jusqu’au jour de la résurrection. Je me plaindrai devant le trône du Dieu très pur en répandant de la poussière sur ma tête et en disant : « Ô Seigneur ! brûle son ame dans le feu et entoure de lumière l’ame de ton serviteur qui en est digne ! »

Telle est la marche et le mouvement de ce morceau remarquable qui commence par une glorification du poète et finit par l’ironie et l’anathème. Il est d’autant plus important de le noter, que la satire est rare en Orient, où l’hymne abonde. L’Orient est trop grave pour la raillerie légère, et, dans le pays du despotisme, l’invective libre et hardie ne saurait être commune ; mais il n’est rien qui puisse contenir la fierté blessée d’un poète.

Le fugitif fut partout poursuivi par la haine de son formidable ennemi. Bagdad même ne lui fut pas un sûr asile ; l’autorité du chef des