Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/629

Cette page a été validée par deux contributeurs.
625
LE SCHAH-NAMEH.

la manière de l’Iliade et des Niebelungen, non pas à la manière de l’Énéide ou de la Jérusalem délivrée. Les traditions sur l’ancienne histoire de la Perse, que Firdousi a recueillies, existaient antérieurement à lui. Firdousi a écrit un peu avant l’an 100 de notre ère, et Moïse de Korène, historien arménien du Ve siècle, connaissait déjà les histoires de Zohak et de Rustem.

Au VIe siècle, le célèbre Nourschivan, qui fit venir de l’Inde le recueil d’apologues et de contes tant de fois traduits et connus en Occident sous le nom de fables de Bidpaï, ne se montra pas moins empressé à recueillir les récits indigènes que les fictions étrangères. Il ordonna de rassembler, dans les diverses provinces, les souvenirs populaires concernant les anciens rois, et il voulut que cette collection fût déposée dans sa bibliothèque. Enfin, le dernier roi de la dynastie des Sassanides fit revoir et compléter le recueil de Nourschivan. Au moment où l’islamisme allait renverser la religion de Zoroastre, où la monarchie persane était prête à s’écrouler sous la main des mangeurs de lézards, comme l’on appelait dédaigneusement les compagnons d’Omar, à Ecbatane ou à Ctésiphon, les derniers soutiens du culte antique, les derniers défenseurs de la nationalité expirante, se rattachaient, se cramponnaient pour ainsi dire aux traditions de la patrie, comme on se cramponne dans un naufrage aux débris d’un vaisseau qui va sombrer.

Firdousi lui-même nous atteste la formation de ce second recueil. Selon lui, un grand personnage nommé Danischwer, qui vivait sous le dernier Sassanide, fit venir de chaque province les vieillards qui possédaient des parties d’un livre où étaient contenues beaucoup d’histoires ; il écouta le récit des vieillards, et, à l’aide de ce récit, il composa un ouvrage qui portait le titre que porta depuis l’ouvrage de Firdousi. M. Mohl doute avec raison de l’existence d’une collection autre que celle de Nourschivan, collection dont les paroles de Firdousi semblent supposer l’existence.

On peut remarquer au reste, ajoute-t-il fort judicieusement, que, dans presque tous les pays, ceux qui les premiers réunissent en un corps d’ouvrage les traditions orales, tâchent de donner à leurs récits un peu plus d’autorité en les faisant remonter à des ouvrages imaginaires. »

Cela est parfaitement vrai, et la littérature épique du moyen-âge en fournit plus d’une preuve. Les auteurs des poèmes chevaleresques affirment presque tous avoir tiré de quelque source respectable les aventures qu’ils racontent, des Chroniques de Saint-Denis, par