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après, il retraçait, dans une pièce de vers adressée à Conde, la magnificence du départ :


« La mer mugissait, dit-il ; l’écho doublait, en les répétant, les éclats de la trompette et le fracas des tambours, tandis que la foule tumultueuse allait et venait sur les ponts, comme l’essaim qui prend possession d’une ruche.

« Du haut des mâts, les rouges banderolles frémissaient de concert avec les vagues, qui, semblables à des montagnes de cristal, s’élevaient couronnées de sapins dépouillés de branches et de verdure.

« Là dormait Aristote ; là gisaient oubliées la matière et la forme, la substance et l’accident ; là Minerve enseignait une autre physique qu’à l’école. Du reste, je n’avais fait que changer de guerre ; car l’amour est une guerre aussi, et dans celle-là j’avais de longs services. »


Quant à la situation morale de Lope, les traits de cette pièce qui l’indiquent, si vagues et rapides qu’ils soient, méritent néanmoins d’être notés. « Accompagné de toi seul, dit-il à Conde, et banni d’auprès de Philis, je ne songeais plus qu’à changer de ciel et de climat, et, l’arquebuse sur l’épaule, je traversais la plage lusitaine, lançant dans l’air les vers composés pour Philis, et pour lors employés à charger le canon meurtrier. »

Il est impossible d’attacher un sens à ces vers, si l’on n’admet pas que Lope, avant de s’embarquer avec l’Armada, avait contracté de nouvelles amours, moins tenaces toutefois que les premières. Heureusement pour ce pauvre Lope, toutes les femmes n’étaient pas des syrènes comme Dorothée.

Lope, parti avec l’Armada, eut d’abord un sujet de joie des plus vifs ; il rencontra son frère aîné, qu’il avait perdu de vue depuis bien des années, et le trouva occupant le grade d’alforez. Mais sa joie fut de courte durée ; à peine retrouvé, ce frère fut tué presque en ses bras, dans un engagement fortuit qui eut lieu entre un détachement de la flotte espagnole et quelques vaisseaux hollandais. Ce n’est pas lui qui raconte ce trait, c’est Montalvan. Lope nous aurait probablement appris le nom de son frère, Montalvan n’y a pas songé.

Si notre poète usa de son arquebuse dans les désastres de l’expédition, on peut être sûr qu’il en usa vaillamment : il était brave, bon catholique, et battre l’hérétique Angleterre ne pouvait être, à ses yeux, qu’œuvre pie. Mais toujours est-il certain que le service lui laissa de grands loisirs, et ces loisirs ne furent pas perdus. Il les consacra à la composition d’un poème épique en vingt chants, qu’il