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allusion en termes des plus vagues. « Quelques ennemis puissans firent, dit-il, la guerre aux nobles qualités de Lope, et l’obligèrent plus d’une fois à faire naufrage dans l’exil. » Parler en ces termes d’infortunes attachées à un nom tel que celui de Lope, c’est n’en vouloir pas parler.

Montalvan a dit quelque chose de plus : il raconte un démêlé de Lope avec un certain gentilhomme de Madrid, démêlé auquel il semble attribuer au moins en partie les adversités de notre poète. Le gentilhomme dont il s’agit, personnage d’une noblesse équivoque, pauvre, envieux, n’avait, dit Montalvan, pour se faire valoir dans le monde, qu’une très mauvaise langue, dont il faisait fréquemment usage. Se trouvant un jour dans une société où Lope était connu, il l’y avait bassement dénigré, déchiré, tourné en ridicule. Lope, informé du fait, en prit sans délai sa revanche dans une satire sous forme de romance, où son ennemi était peint de telle sorte, qu’il fut salué par les risées de tout Madrid. Le provocateur se fâcha ; il envoya à Lope un défi auquel celui-ci répondit. Le duel eut lieu, et le poète en sortit victorieux, ayant dûment corrigé son adversaire, sans avoir commis la maladresse de le tuer. Ce duel fut pour quelque chose dans la persécution de Lope, on peut le croire ; mais, d’après Montalvan lui-même, il ne fut point la cause unique du procès intenté à notre poète. Et, en effet, voici comment Montalvan poursuit le récit de ce même duel : « Cet accident, dit-il, et d’autres mésaventures, affaires de sa jeunesse, exagérées par ses ennemis, l’obligèrent à quitter sa maison et son pays. » Ces mésaventures de Lope, suite des affaires de sa jeunesse, Montalvan ne pouvait les ignorer, et il est évident qu’il n’a pas voulu les dire.

C’est à Lope lui-même qu’il faut nous adresser pour apprendre quelque chose de plus sur ce cruel et mystérieux moment de sa vie. Il en parle vingt fois dans divers ouvrages : son emprisonnement et les misères qui en furent la suite sont des faits sans cesse présens à sa mémoire et auxquels il est toujours prêt à faire allusion, pour peu que l’occasion s’en présente, et c’est toujours à la même cause qu’il les attribue, c’est toujours à la persécution de Dorothée ou de sa mère Theodora. Pour ce qui regarde Dorothée, elle était outrée d’avoir été abandonnée par Lope, d’abord pour Marfise, puis pour une épouse. Avec cet abandon avait coïncidé un autre évènement plus grave : don Vela, ce riche Américain, grace aux libéralités duquel la famille de Dorothée ne manquait plus de rien, avait péri dans un duel, pour n’avoir pas voulu prêter un magnifique cheval