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DES CLASSES SOUFFRANTES.

les exerce à la science de l’aumône, de la seule aumône qu’ils puissent faire, ces pauvres enfans dont le cœur est l’unique trésor. Dans quelques établissemens, chaque élève est placé sous la tutelle d’un autre plus âgé qui devient son frère ou sa sœur d’adoption, qui lui sert de guide et de modèle. L’échappé du maillot qui bégaie encore, trouve ainsi pour soutien un des vieillards de ce petit monde, un mentor de cinq à six ans, qui le couvre gravement de son expérience, qui lui tend la main quand il trébuche, qui, au besoin, le gronde en jouant.

Les orphelins ont toujours été l’objet d’une sollicitude instinctive. Les fondations en leur faveur furent très nombreuses au moyen-âge. Présentement, ils sont recueillis par les hospices de nos grandes villes, placés à la campagne ou élevés intérieurement, lorsque leur santé exige des soins particuliers : on les prépare à un état, pour les lancer enfin dans le monde à l’âge de douze ans accomplis, avec la sauve-garde d’un bienveillant patronage, munis d’un trousseau, et quelquefois même d’un petit pécule, quand on a pu les exercer à un travail productif. Le grand établissement de Paris compte aujourd’hui de 1,300 à 1,400 enfans d’adoption. Les hospices les plus chargés sont celui de Marseille, qui reçoit annuellement 100 orphelins et en entretient 200, et la belle fondation du roi Stanislas à Nancy, qui conserve les garçons jusqu’à quatorze ans et les filles jusqu’à dix-huit. Les administrations publiques, enchaînées par la lettre des règlemens, laissent beaucoup de bien à faire ; mais leur œuvre est complétée par des associations libres. On compte à Paris quatre sociétés charitables en faveur des garçons sans familles, et une dizaine de refuges pour les pauvres filles. Une de ces sociétés, composée d’ouvriers, a pour but de procurer le placement et de diriger l’apprentissage des orphelins. En 1837, elle a recueilli, de 586 souscripteurs, une somme de 2,620 francs : qui sait ce que cette modique offrande a coûté de privations ! Les sociétés de ce genre sont sans nombre. Quoi de plus touchant que l’exemple donné par les jeunes demoiselles de plusieurs villes, particulièrement d’Avignon et de Rennes, qui se chargent de l’éducation des pauvres orphelines, et facilitent leur mariage, en leur assurant une petite dot ? Faut-il rappeler qu’après les ravages du choléra, Paris compta 423 orphelins de plus, et qu’aussitôt des donations et des souscriptions volontaires ont assuré un secours annuel d’environ 100,000 fr. qu’il faudra continuer jusqu’à ce que tous les infortunés aient trouvé leur place dans le monde, dix ans au moins ?

L’instinct de la bienfaisance est si prononcé, qu’une charge véritablement accablante ne le peut ébranler, et que, malgré le cri d’alarme poussé de concert par les hommes d’état et par les moralistes, on aura peine à modérer une générosité qui va jusqu’à l’imprudence. Une classe trop nombreuse déjà, et qui malheureusement menace de s’accroître encore, est l’objet d’une protection si active, que sa disgrâce lui confère une sorte de privilége. On le peut dire sans exagération, puisque dans l’état présent de la société, l’alimentation assurée pendant le premier âge de la vie, la possession d’un métier, un bienveillant patronage, sont des garanties d’avenir qui manquent à la majorité des prolé-