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compagnon à reculer assez loin l’époque du mariage. Il voudrait encore qu’on adoptât un système de colonisation assez puissant pour soulager au besoin le sol national.

Les pays où la misère se propage doivent interroger sévèrement leur code administratif, et se demander surtout si le mécanisme financier ne fait pas porter la plus lourde partie du fardeau sur les classes déjà exténuées. Il ne faut pas se hâter toutefois de dresser contre un gouvernement l’acte d’accusation. Rien n’est plus difficile que de concilier tous les intérêts en matières fiscales. Atteindre particulièrement les privilégiés de l’ordre social, c’est compromettre la consommation, et ôter en main d’œuvre, aux travailleurs, beaucoup plus qu’on ne leur laisserait par un léger dégrèvement. Les taxes somptuaires ne peuvent frapper que des objets à l’usage de la vanité, et qui ne soient pas d’ailleurs le produit direct d’une industrie importante. C’est ainsi que les Anglais ont établi un impôt sur les domestiques mâles, les chevaux, les chiens, les voitures, les armoiries : mais ces taxes seraient peu productives dans un pays comme le nôtre, où le faste, excessivement rare, est incessamment réduit par la division des fortunes. L’impôt progressif, dont l’idée sourit à la démocratie, c’est-à-dire l’impôt qui augmenterait en proportion du revenu, serait injuste, vexatoire, immoral, et par-dessus tout impraticable. Comment atteindre les revenus de tous les genres ? Le chef d’une nombreuse famille, l’homme forcé par son rôle dans le monde à de grands frais de représentation, n’est-il pas dans la réalité moins riche avec une forte rente, que l’obscur et inutile célibataire avec de moindres ressources ? Si l’on croit devoir prendre en considération de telles circonstances, il faudra donc violer le sanctuaire privé, et entreprendre annuellement une enquête pour chaque contribuable ? Mais, dès lors, que de ruses pour mentir à la loi ! Quelle déplorable émulation pour se rapetisser aux yeux de tous ! En général, les théories financières qui s’attaquent particulièrement à la richesse ont un grand inconvénient. Des contributions prélevées sur des superfluités n’offrent pas les conditions de sécurité exigibles. Il suffirait d’un caprice de la mode, ou d’un parti pris des classes riches, pour diminuer les sources du revenu public et entraver l’administration. En règle générale, le meilleur impôt pour le financier est celui qui promet la plus grande fixité dans les produits, la plus grande facilité dans la perception. « Il faut bien en convenir, ajoute à ce sujet M. de La Farelle, ces conditions se rencontrent surtout dans les impôts qui frappent les objets de la plus universelle consommation, et ces objets sont ceux qui répondent aux premières, aux plus pressantes nécessités de la vie ; d’où suit qu’au point de vue financier, les meilleurs impôts sont presque toujours ceux qui atteignent directement les masses, les classes inférieures de la société. »

La misère n’a pas toujours sa cause et son excuse dans l’organisation sociale. Quelquefois le pauvre ne peut accuser que lui-même des maux qu’il endure, et c’est le cas le plus ordinaire, lorsqu’il est en état de validité. La fainéantise, l’imprévoyance, le libertinage, le jeu, l’ivrognerie, tous les vices qui conduisent au crime les natures violentes, creusent pour la foule inerte l’abîme