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DES CLASSES SOUFFRANTES.

même en certains pays des institutions secourables ; mais jamais elles n’ont profité aux races frappées de malédiction par les dogmes de l’Orient, ni aux esclaves qui formaient au moins les deux tiers des populations occidentales. D’ailleurs, ces innombrables troupeaux que la servitude isolait au milieu de chaque nation, n’étaient pas le plus exposés à ce dénuement absolu qui compromet l’existence : l’intérêt du maître devenait la garantie de leur conservation. Les tristes caractères de l’indigence, c’est-à-dire la privation des choses nécessaires à la vie, se rencontraient surtout parmi les individus libres de leur personne et abandonnés à leurs propres ressources. D’après l’organisation ancienne, la pauvreté dut être le lot ordinaire des plébéiens ; souvent même, à Rome, leur misère fut si grande, que l’aristocratie sentit l’urgence de prévenir par des libéralités les emportemens du désespoir. Mais il est hors de doute que les mesures prises en pareil cas, loin d’être commandées par la commisération, ne furent que des concessions faites à un ennemi politique.

Le dernier volume publié par l’Académie des inscriptions renferme un intéressant mémoire de M. Naudet sur le système des secours publics chez les Romains. Sous la république, on apaisa les prolétaires affamés par des ventes de grains à prix réduits, et plus tard, par des distributions gratuites auxquelles participait la majorité de la population libre. Les indigens trouvèrent encore une ressource dans la solde militaire, qui fut accordée comme une gratification plutôt que comme la récompense d’un service ; dans la fondation des colonies, dans le patronage des grands, qui procurait une partie des avantages attachés à la domesticité. D’autres expédiens, enfin, ne furent que transitoires, et, en quelque sorte, révolutionnaires : par exemple, la remise des impôts, l’extinction des dettes, et le partage des terres à la suite des guerres civiles. — « Jusqu’à Jules César, dit M. Naudet, on donne, on flatte, on achète la faveur par des largesses, mais on n’assure, par aucune fondation modérée et stable, le soulagement de la classe indigente. Il n’y a véritablement pas d’administration des secours publics. Ce n’est qu’à dater du règne des empereurs qu’elle commence. » — Sous l’empire, en effet, les institutions favorables aux classes inférieures se multiplient et se régularisent. Généralement encore, elles sont conseillées secrètement par l’égoïsme. Ces distributions frumentaires, auxquelles peut prendre part tout individu libre de naissance ou par affranchissement, ces largesses faites aux gens de guerre, ces concessions de monopole à des corporations, ces prêts sans intérêts, sont plutôt des calculs du despotisme que l’inspiration de la charité éclairée. Toutefois, dès cette époque, des fondations au profit de l’enfance, des règlemens favorables aux esclaves annoncent que des germes de commisération viennent d’éclore dans les ames. C’est que le souffle d’une parole nouvelle les y a répandus. Sur tous les points de l’empire se sont formées des assemblées (ecclesiæ) où l’on professe que tous les hommes, égaux devant le seul vrai Dieu, sont membres d’un même corps, et à ce titre se doivent mutuelle assistance. En même temps, ce précepte inoui reçoit de l’exemple une éclatante sanction. Le fonds commun, mis en réserve dans chaque église, devient le patrimoine du pauvre. Une ardente émulation