Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/550

Cette page a été validée par deux contributeurs.
546
REVUE DES DEUX MONDES.

reux insulaires, arbitraire et oppression devenus aujourd’hui mille fois plus insupportables qu’autrefois.

Le gouvernement sandwichien a donc mal fait, suivant moi, de prendre des mesures aussi absolues. Il est certain que la construction d’une maison ne consacre pas un droit au terrain sur lequel cette maison a été bâtie ; mais on devait faire attention aux circonstances dans lesquelles l’établissement avait été formé, à la situation du pays à cette époque, et en faire un titre de préférence aux possesseurs actuels. Dans certains cas même, la prescription devait donner aux possesseurs un droit de propriété, ou pouvait influer sur la longueur des baux que le gouvernement accorderait par la suite. Quant aux terres incultes, et c’était là, je crois, un des principaux objets que voulait atteindre M. Kennedy, n’y avait-il pas des moyens légaux pour que des étrangers pussent les cultiver avec toute sécurité et sans la crainte d’en être dépossédés quand ils seraient au moment de recueillir le fruit de leurs travaux ? Le gouvernement ne pouvait-il pas être amené à céder, moyennant un certain prix et pour un nombre d’années suffisant, la propriété des terres qui, faute de bras, restent improductives ? Ne pouvait-il pas, en offrant aux acquéreurs toutes les sûretés désirables, se réserver à lui-même toute espèce de garanties de souveraineté et de propriété absolue, si toutefois il voulait refuser aux étrangers le droit de devenir propriétaires, s’il voulait en un mot persister dans un système que je regarde comme insoutenable aux îles Sandwich.

En résumé, les missionnaires ont, sans nul doute, fait du bien aux îles Sandwich, mais ils ont aussi fait beaucoup de mal en ne faisant pas tout le bien qu’il leur était donné d’accomplir. Doit-on en accuser leurs intentions ? doit-on croire aux vues d’intérêt personnel qu’on leur prête, ou faut-il rejeter la faute sur les principes dans lesquels ils ont été élevés eux-mêmes, sur cette condition attachée à l’humanité, qu’aucune œuvre sortie des mains de l’homme n’est parfaite ? C’est ce que je n’entreprendrai pas de décider. Mon séjour aux îles Sandwich a été trop court pour bien asseoir mon opinion à cet égard, et, quel que fût mon jugement, je craindrais d’être injuste envers les missionnaires ou envers leurs accusateurs.


Adolphe Barrot