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LES ÎLES SANDWICH.

D’ailleurs, cette population native, qui a déjà diminué dans une si terrible progression depuis quarante ans, ne diminuera-t-elle pas encore par les mêmes causes ? Ne subira-t-elle pas le sort de toutes ces peuplades sauvages que le contact de la civilisation a frappées de mort, et qui ont disparu de la surface de la terre avant l’accomplissement de l’œuvre de régénération ?

Lorsque nous arrivâmes à Honolulu, nous y trouvâmes la corvette américaine Peacock, ayant à bord le commodore Kennedy. M. Edwards avait été envoyé par le gouvernement des États-Unis pour régler divers points commerciaux avec certains états de l’Inde, et assurer la stabilité des établissemens de commerce aux îles Sandwich. Mais, M. Edwards étant mort dans l’Inde avant son arrivée à Honolulu, le commodore Kennedy continua son voyage et suivit les instructions reçues par M. Edwards. Le principal objet de sa mission était l’interprétation à donner au traité passé entre le gouvernement des États-Unis et celui des îles Sandwich. Ce traité était interprété de différentes manières par les naturels et les Américains ; ceux-ci prétendaient que les terrains sur lesquels ils avaient fait bâtir des maisons étaient devenus leur propriété ; le gouvernement des îles Sandwich déclarait, ainsi que je viens de le dire, que les Américains et autres étrangers, ayant bâti sur des terrains qui ne leur appartenaient pas, n’avaient aucun droit à la propriété ; que c’était un grand acte de condescendance que de leur en laisser la jouissance pendant le temps de leur séjour dans le pays, et que, lorsqu’ils viendraient à le quitter, l’état devait rentrer en possession d’une propriété sur laquelle il conservait tous ses droits. M. Kennedy fit tous ses efforts pour que l’on consacrât par des articles additionnels au traité le principe soutenu par ses compatriotes ; mais il y eut des entraves. À la première conférence, on était tombé d’accord sur tous les points ; le lendemain les articles additionnels devaient être signés. Le lendemain, non-seulement le gouvernement de Honolulu refusait d’accéder aux demandes de M. Kennedy ; mais il déclarait formellement qu’il était décidé à ne pas souffrir que des étrangers devinssent propriétaires aux îles Sandwich, à quelque titre que ce fût. Le commodore Kennedy, n’ayant pas d’instructions spéciales pour agir en cette circonstance, partit fort mécontent, menaçant, dit-on, le gouvernement des îles Sandwich de l’intervention efficace des États-Unis.

On attribue le refus du gouvernement de Honolulu aux missionnaires, qui, dans un sens, à mon avis, ont soutenu ou engagé le gouvernement à soutenir un principe dont l’équité ne peut se nier. La prétention d’être propriétaire d’un terrain parce qu’on y a bâti une maison n’était pas, même en droit naturel, soutenable ; mais fermer la porte à tout accommodement dans cette question, était tout-à-fait impolitique. C’était nuire aux intérêts directs du pays et de la population, dont le bonheur, je dirai même la conservation, dépend du prompt mélange des naturels avec la population formée par les migrations européennes ou américaines ; car ce n’est qu’alors que disparaîtront ces abus sans nombre et cet arbitraire épouvantable sous lesquels gémissent les malheu-