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nécessairement à y faire naître. Les établissemens existans ont été fondés sans précautions préalables, chacun occupant un terrain cédé, disent les propriétaires, par le gouvernement des îles, mais sans acte ostensible. Aujourd’hui, ce gouvernement, s’appuyant sur les anciennes lois du pays, se déclare propriétaire exclusif de toutes les terres, et il y comprend celles où des étrangers ont formé des établissemens, leur permettant bien d’y demeurer leur vie durant, mais sous condition que les terrains et les bâtisses reviendront à la couronne, lorsque le résident actuel viendra à mourir ou à abandonner le pays pour une cause quelconque. Le gouvernement a déclaré, en outre, qu’aucun étranger ne pourrait être propriétaire de terres aux îles Sandwich, mesure qui lui a été dictée et dont on n’a pas bien calculé la pernicieuse influence.

Cette déclaration du gouvernement a arrêté tout l’essor que l’industrie agricole pouvait prendre aux îles Sandwich, et a inspiré au commerce une défiance qui ne peut qu’en paralyser les progrès. Les étrangers qui voudraient cultiver une terre, y former les établissemens nécessaires, y faire, enfin, de grandes dépenses, sont arrêtés par la certitude que, si une maladie ou un motif quelconque les forçait à quitter le pays, ils perdraient tout d’un coup le fruit de leurs travaux, que leur mort, d’ailleurs, enlèverait à leurs enfans. Ceux qui s’établissent dans ces îles, ayant toujours à tenir compte de l’éventualité d’un abandon obligé, proportionnent leurs dépenses d’installation aux chances de succès que peut offrir un établissement passager. L’agriculture n’a donc fait aucun progrès, et, au lieu des établissemens immenses qu’un système plus large eût créés, on ne voit, dans les fertiles plaines des îles Sandwich, que l’ancienne culture du taro, telle qu’elle était avant la découverte. Le système suivi par le gouvernement inspire aussi de la défiance ; il montre qu’il y a déjà, chez ces populations nouvelles, jalousie de l’étranger, et il ne fait pas bien augurer des dispositions futures.

Il y a cependant une vérité incontestable pour tous, c’est que ce pays ne peut plus s’accommoder de son ancienne existence ; la population est entrée dans une nouvelle vie ; ses besoins se sont multipliés, et l’industrie seule peut lui fournir les moyens d’y satisfaire. Si on paralyse les ressources du pays, on l’expose à une démoralisation complète, dont les effets commencent déjà à se faire sentir d’une manière effrayante.

D’un autre côté, il y aurait injustice à exiger que chacun eût la liberté de bâtir et de planter sur les terres du gouvernement, sans les avoir, au préalable, achetées. Mais à quoi conduira le système actuellement en vigueur, ce système qui éloigne et décourage l’industrie étrangère ? À la non production presque absolue des terres. La population de Oahou (je cite cette île parce qu’elle est une des plus peuplées) est de 20,000 ames, et la superficie de l’île, en plaines, coteaux et montagnes, est d’au moins 600 lieues carrées. La millième partie peut-être en est cultivée aujourd’hui. Sont-ce ces peuplades encore sauvages qui sauront tirer de cette terre les trésors qu’elle renferme ? Sont-ce ces hommes qui deviendront propriétaires actifs et qui sauront appeler des planteurs habiles de l’Inde, de l’Amérique ou de l’Europe, et les diriger ?