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LES ÎLES SANDWICH.

l’affluence d’étrangers industriels, commerçans, agriculteurs, etc., pouvait seule amener ce résultat. Croit-on que ce soit auprès des matelots des bâtimens baleiniers que les sauvages puissent prendre des exemples de morale ?

Les missionnaires ont trouvé cette population sans caractère formé, avec des vices qui n’étaient que superficiels, des mœurs simples et naïves, et une facilité extraordinaire à recevoir des impressions nouvelles. Qu’en ont-ils fait ? Ils croient avoir corrigé les mœurs, et la démoralisation est à son comble, démoralisation de calcul, bien plus odieuse que celle dont ils se vantent d’avoir triomphé ; ils croient avoir fait des chrétiens, et ils n’ont fait que des hypocrites ; ils croient avoir amélioré la position matérielle des habitans, et ils leur ont fait connaître la misère, qu’ils ne connaissaient pas.

Il y a cependant une vérité incontestable, c’est que les missionnaires ont beaucoup fait pour les peuplades de l’Océanie ; mais ils ont eux-mêmes imposé à leur mission des limites beaucoup trop étroites, ils sont bien loin d’avoir fait tout le bien qu’ils auraient pu faire. À quoi doit-on l’attribuer ? Peut-être à un excès de zèle, peut-être aussi à l’éducation peu libérale qu’ils ont reçue eux-mêmes ; imbus de ce rigorisme religieux si remarquable dans certaines sectes, ils ont souvent perdu de vue le bien temporel de ces peuplades, en cherchant à les faire participer à ces biens spirituels qu’ils mettaient eux-mêmes au-dessus de tout. Ils ont aboli des coutumes barbares et révoltantes pour l’humanité ; ils ont donné aux naturels quelques notions de l’état de la société, mais ils se sont arrêtés à la limite même où la réforme allait produire des résultats utiles. On dirait qu’une arrière-pensée les a constamment dominés. Ainsi ils ont établi des écoles, mais ils ont proscrit l’étude de la langue anglaise. En cela, quel peut avoir été leur but ? Il est évident qu’ils craignaient, comme je l’ai dit, que l’influence des résidens européens ne vînt à contrebalancer la leur. Mais n’était-ce pas là le plus grand obstacle qu’on pût opposer aux progrès de la civilisation, et n’y a-t-il pas évidemment anomalie entre le but qu’on s’est proposé et les moyens qu’on emploie ? Les missionnaires ont-ils voulu, en rendant plus difficiles les communications des naturels avec les étrangers, arrêter la contagion du vice ? Mais tout le monde le sait, — et aux îles Sandwich plus qu’ailleurs on peut s’en convaincre, — le vice n’a pas besoin du langage pour se communiquer, l’exemple seul a suffi pour corrompre ces populations si naïves et si impressionnables.

La population des îles Sandwich a diminué, depuis la découverte, d’une manière effrayante ; elle se trouve réduite aujourd’hui au quart tout au plus de ce qu’elle était lors du premier voyage de Cook. On attribue cette diminution à diverses causes. L’usage des liqueurs fortes a été ici, comme chez toutes les nations sauvages, un poison apporté par les Européens. Des maladies inconnues autrefois ont infecté la population. Le libertinage a dû avoir des suites d’autant plus désastreuses dans ce pays, que la contagion se répandait jusque dans l’intérieur des familles sans qu’on pût employer le moindre remède pour combattre un mal qu’on ne connaissait pas. Une cause de dépopulation, au moins aussi puissante que le libertinage, existe encore dans une