Un jour, en 1832, les deux missionnaires furent arrachés de leur domicile, par ordre de Kaahou-Manou, mis à bord d’un bâtiment du pays, et, après un mois de traversée, pendant lequel ils souffrirent les plus grandes privations, ils furent déposés sur la côte de Californie, à quarante milles de toute habitation, sans vivres, sans eau, sans armes pour se défendre contre les bêtes féroces.
Je crois que le gouvernement français n’a jamais eu connaissance de cette affaire qui demandait peut-être son intervention ; ces hommes doux et pacifiques ne voulurent pas sans doute attirer sur ce pays la sévérité de notre gouvernement. Peut-être aussi crurent-ils à tort qu’après la révolution de juillet deux pauvres missionnaires persécutés ne seraient pas entendus. Si telle fut leur pensée, ils se trompaient, et la protection de la France ne leur eût certainement pas manqué, si cette affaire fût parvenue à la connaissance du gouvernement ; ils en trouveront la preuve dans les mesures qui seront sans doute prises pour que de pareils faits ne se renouvellent plus[1]. Nous ne sommes plus aujourd’hui au temps des persécutions religieuses. On m’a assuré que l’ordre d’embarquement et les dispositions qui l’accompagnaient étaient entièrement écrits de la main d’un missionnaire connu à Honolulu. J’ose à peine croire, cependant, que dans le XIXe siècle, des hommes appartenant à une nation libre et éclairée aient pu se résoudre à donner un pareil exemple de persécution et d’intolérance. MM. Bachelot et Short sont encore, m’a-t-on dit, en Californie.
C’est la crainte que l’objet de l’arrivée de la Bonite ne fût de demander satisfaction et réparation de cette injustice, qui répandit l’alarme dans la ville d’Honolulu, lorsqu’on aperçut le pavillon tricolore. Quelques jours auparavant, un missionnaire catholique irlandais, M. Welch, était arrivé à Oahou : il avait reçu l’ordre verbal de repartir immédiatement ; mais, d’après l’avis du consul anglais, il avait refusé d’obéir à moins qu’on ne lui en donnât l’ordre par écrit. Cet ordre devait lui être remis le jour même de notre arrivée ; mais la présence de la Bonite changea sans doute les dispositions de Kinao : l’ordre ne fut pas envoyé, et seize jours après, lors de notre départ, non-seulement M. Welch ne l’avait pas reçu, mais on ne lui avait pas même reparlé de son départ. Comme une corvette anglaise, l’Actéon, entra à Honolulu la veille du jour où nous mîmes à la voile, il est probable que M. Welch n’aura plus été inquiété. Du reste, les prosélytes faits par les deux missionnaires catholiques furent cruellement persécutés. Tous ceux qui n’abjurèrent pas la foi catholique furent incarcérés et condamnés aux travaux les plus vils. Quelques-uns gémissent encore dans les cachots.
- ↑ Depuis l’époque où cette relation a été écrite, le gouvernement français a envoyé une frégate aux îles Sandwich ; le commandant de ce bâtiment a pris, sur les lieux, des informations sur ce scandaleux abus de pouvoir, et il y a tout lieu de croire qu’à l’avenir la qualité de Français et de catholique ne sera plus une cause d’oppression dans ces îles.