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GOETHE.

et descendent, selon le caprice de leurs ailes : ils peuvent s’attarder au bord des eaux, ramasser tous les diamans qu’ils trouvent, sans qu’un avertissement d’en haut les ramène au giron souverain. Feux errans et follets, tandis que le soleil immobile se tient au centre, ils traversent l’étendue en tous sens, au risque de se laisser prendre par lui quelque chose de leur clarté phosphorescente, et finissent par aller s’éteindre dans les larmes d’une jeune fille. Le mystère dont ils s’environnent fait toute leur liberté ; isolés, mais heureux de s’enivrer ainsi, comme des abeilles, du miel le plus doux de la terre, ils ont ce qu’ils souhaitent. Le génie qui se fait centre ne peut, lui, se contenter d’une si médiocre volupté. Or, l’admiration qu’il ambitionne ne se donne pas volontiers ; pour l’avoir, il la faut conquérir : l’humanité est comme la terre qui ne donne rien de ses larmes ni de sa végétation aux étoiles oisives qui se contentent de la regarder avec mélancolie, et se livre tout entière au soleil qui la féconde.

Quiconque entreprend une œuvre épique, dépouille sa propre inspiration pour se soumettre au dogme sans discuter ; que ce dogme vienne ensuite de Dieu ou de l’esprit humain, qu’il s’appelle Jésus, saint Paul, Grégoire VII ou Spinoza, Hegel, Novalis, peu importe, on n’en doit pas moins le considérer comme l’autorité dont la pensée relève. Le poème de Faust est le chant du naturalisme, l’évangile du panthéisme, mais d’un panthéisme idéal qui élève la matière jusqu’à l’esprit, bien loin d’enfouir l’esprit dans la matière, proclame la raison souveraine et donne le spectacle si beau de l’hyménée des sens et de l’intelligence. Toutes les voix chantent sous la coupole magnifique, les anges, l’humanité, les grands bois, les eaux et les moissons ; les flammes de la vie et de l’amour roulent à torrens, puis remontent à la source éternelle pour s’épancher encore. L’harmonie est complète, pas une note n’y manque. Désormais Novalis et Goethe ont élargi le Verbe du Christ et fait entrer la terre, les eaux et le ciel dans la révélation ; la nature est sauvée, l’humanité se réconcilie à jamais avec elle ; tout annonce le panthéisme et le glorifie dans cet édifice sublime. Entre tous les grands maîtres, Goethe est celui qui possède au plus haut degré le génie de la volonté : il fait ce qu’il veut, rien que cela, et s’arrête à temps ; et, qu’on ne s’y trompe pas, cette puissance n’est que le résultat de son organisation insensible aux influences du cœur, de sa nature qui attire sans jamais rendre, comme nous l’avons déjà dit. On doit bien se garder de croire que toutes les tendances du siècle le frappent également ; dans cette symphonie étrange, dans ce chœur sans mesure que chantent pêle-mêle tous les instincts et toutes les passions, son oreille infaillible saisit la voix fondamen-