Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/519

Cette page a été validée par deux contributeurs.
515
GOETHE.

choix, et sans doute qu’un jour, dans l’avenir, notre monade principale le récapitulera sommairement par de grandes synthèses historiques[1].

« Si nous passons aux conjectures, à vous parler franchement, je ne vois pas ce qui pourrait empêcher la monade à laquelle nous devons l’apparition de Wieland sur notre planète, d’embrasser, dans son nouvel état les plus vastes rapports de cet univers. L’activité, le zèle, l’intelligence avec lesquels elle s’est appropriée tant de faces de l’histoire du monde, lui donnent le droit de prétendre à tout. Il m’étonnerait peu, bien plus je regarderais cela comme une chose tout-à-fait conforme à mes vues, de rencontrer après des siècles ce même Wieland devenu quelque monade cosmique, quelque étoile de première grandeur, et de le voir réjouir, féconder par sa douce lumière tout ce qui s’approcherait de lui. Oui, ce serait beau pour la monade de notre Wieland de comprendre l’être vaporeux de quelque comète dans sa lumière et sa splendeur. Quand on réfléchit à l’éternité de cet état universel, il est impossible de ne pas supposer que les monades, en tant que forces coopératives sont aussi admises à prendre part aux joies divines de la création. L’être de la création leur est confié. Appelées ou non, elles viennent d’elles-mêmes, de tous les chemins, de toutes les montagnes, de toutes les mers, de toutes les étoiles ; qui peut les arrêter ? Je suis sûr d’avoir mille fois pris part à ces joies dont je parle, et je compte bien mille fois encore y retourner ; rien au monde ne m’ôterait cette conviction et cet espoir. — Maintenant il reste à savoir si l’on peut appeler retour un acte accompli sans conscience : celui-là seul retourne dans un lieu qui a conscience d’y avoir séjourné précédemment. Souvent, dans mes contemplations sur la nature, de radieux souvenirs et des gerbes de lumière jaillissent à mes yeux de certains faits cosmogoniques auxquels ma monade a peut-être contribué avec activité. Mais tout cela ne repose que sur un peut-être, et lorsqu’il s’agit de pareilles choses, il faudrait cependant avoir de plus sérieuses certitudes que celles qui peuvent nous venir des pressentimens et de ces éclairs dont l’œil du génie illumine par intervalle les abîmes de la création. Pourquoi,

  1. Telle était aussi l’opinion de Herder sur ce point, lorsqu’il disait, un soir qu’il se promenait au clair de lune avec ses amis : « Nous sommes maintenant sur l’esplanade de Weimar, et j’espère bien que nous nous retrouverons peut-être un jour dans Uranus ; mais Dieu me garde d’emporter dans ce monde le souvenir de mon séjour ici-bas, le souvenir de mon histoire personnelle et de tous les petits évènemens qui m’ont attristé ou réjoui dans ces rues, au bord de l’Ilm. Pour ma part, je regarderais un pareil sort comme le plus cruel châtiment qui pût m’être infligé. »