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GOETHE.

tude les entraîne ; combien, au lieu de courir en désœuvrées sur mon clavier, elles aimeraient mieux, abeilles laborieuses, voltiger sur les prés, se poser sur un arbre, et s’enivrer du suc des fleurs ! L’instant de la mort, qui pour cela s’appelle avec raison une dissolution, est justement celui où la monade supérieure régnante (die regierende Hauptmonas) affranchit ses sujettes et les dégage de leur fidèle service. C’est pourquoi, de même que l’existence, je regarde la mort comme un acte dépendant de cette monade capitale dont l’être particulier nous est complètement inconnu.

« Cependant les monades sont inaltérables de leur nature, et leur activité ne saurait ni se perdre, ni se trouver suspendue au moment de la dissolution. Elles ne quittent leurs anciens rapports que pour en contracter de nouveaux sur-le-champ ; et, dans cet acte de transformation, tout dépend de l’intention, de la puissance de l’intention contenue dans telle ou telle monade. La monade d’une ame humaine cultivée n’est point la monade d’un castor, d’un oiseau ou d’un poisson, cela va sans dire ; et ici nous retombons dans le système de la classification des ames, auquel il est impossible d’échapper toutes les fois qu’on veut interpréter d’une façon quelconque les phénomènes de la nature. Swedenborg, cherchant à l’expliquer à sa manière, se sert, pour représenter son idée, d’une image fort ingénieuse à mon sens. Il compare le séjour où les ames se trouvent à un espace divisé en trois pièces principales, au milieu desquelles s’en trouve une grande. Maintenant supposons que, de ces divers appartemens, diverses espèces de créatures, des poissons, des oiseaux, des chiens, des chats, se rendent dans la grande salle, curieuse compagnie en vérité, et singulièrement mêlée ; qu’adviendra-t-il aussitôt ? Le plaisir de se trouver ensemble ne durera certes pas long-temps, et de ces mille dispositions si instinctivement contraires, quelque effroyable querelle résultera ; à la fin, le semblable cherchera le semblable, les poissons iront vers les poissons, les oiseaux vers les oiseaux, les chiens vers les chiens, etc., et chacune de toutes ces espèces contraires cherchera, autant que possible, à se trouver quelque lieu particulier. N’est-ce point là l’histoire de nos monades après la mort terrestre ? Chaque monade va où sa force l’entraîne, dans les eaux, dans l’air, dans la terre, dans le feu, dans les étoiles ; et cet essor mystérieux qui l’y porte contient tout le secret de sa destinée future.

« À une destruction complète, il n’y faut pas penser. Cependant il peut bien se faire qu’on coure le risque d’être saisi au passage par