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de toutes mes forces à cette parole, fin dernière de la sagesse : Celui-là seul est digne de la liberté comme de la vie, qui peut chaque jour se la conquérir. » Il voudrait doter de vastes états son peuple libre : « Ah ! que ne puis-je voir une activité semblable ! puissé-je vivre sur un sol libre, avec des hommes libres ! Alors seulement je dirais à l’heure qui va fuir : Reste, reste, tu es si belle ! que la trace de mes jours terrestres n’aille pas s’effacer ! — Dans le pressentiment d’une telle béatitude, je goûte maintenant l’heure ineffable. » Faust assouvit, en cette extase, le désir si ardemment exprimé dans la première partie ; ce pressentiment le conduit à la plénitude de l’existence, l’œuvre de sa vie est consommée. Les Lemures s’emparent de Faust et le couchent dans le tombeau.

Le chœur. — L’heure s’arrête, l’aiguille tombe.
Méphistophélès. — Elle tombe, tout est accompli.

Ainsi Faust trouve le but de son activité dans un pressentiment extatique ; les voluptés de la vie n’ont pu le satisfaire. Méphistophélès a perdu son pari, car ce n’est point le présent qui arrache à Faust les paroles par lesquelles son existence terrestre se consomme, mais l’espérance d’un avenir meilleur.

Au moment où Méphistophélès va saisir sa proie, le firmament s’ouvre, et des légions d’anges apparaissent à l’horizon, dans les splendeurs d’une céleste aurore. L’espace s’emplit d’une musique harmonieuse, que Méphistophélès trouve insupportable ; chaque note du concert divin lui tombe dans l’oreille comme une goutte de plomb ardent. Les anges se dispersent dans les campagnes de l’air, et sèment les roses à pleines mains, roses mystiques devant lesquelles les compagnons hideux de Méphistophélès reculent épouvantés. Méphistophélès tient bon d’abord, et se débat, au milieu des roses qui le couvrent, dans les angoisses d’un affreux supplice. Ici la lutte éternelle du mal contre le bien, du laid contre le beau, de l’impur contre le saint et l’immaculé, se produit, environnée de tous les merveilleux prestiges d’une poésie dont l’esprit humain semblait avoir oublié le secret depuis Dante et sa Divine Comédie. Méphistophélès voudrait maudire les anges, il ne le peut ; la flamme céleste, qui pénètre en lui, refoule jusque dans les abîmes de sa conscience

    sume soi-même ; et lorsque, dans le vertige de mon inquiétude, je contemple le ciel et la terre, et leurs forces infatigables, je ne vois rien qu’un monstre qui engloutit éternellement et qui éternellement rumine. » (Goethe, Werther’s Leiden, Th. I.)