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GOETHE.

plus glorieuse dès le berceau ! Et cependant Goethe ne s’en tient pas là, il faut à sa création quelque chose de contemporain qui en rehausse la vie et l’éclat dans le présent. De l’idée d’Euphorion, étoile radieuse si tôt éteinte au firmament de la poésie, à l’idée de lord Byron il n’y a qu’un pas. Euphorion sera lord Byron. Ainsi Goethe paiera le tribut de sa plainte sublime à la mémoire de l’auteur de Manfred, et son œuvre trouvera dans cette douleur généreuse une mélancolie imposante et grandiose que l’antiquité seule n’aurait pu lui donner. Quel autre que Byron serait ce jeune immortel au splendide visage, aux tempes sereines qu’une flamme illumine, ce génie inquiet qui gravit d’un pied ferme les pics escarpés et neigeux, plonge au hasard dans les abîmes, appelle la guerre, et trouve enfin la mort en cherchant un idéal qu’il ne peut atteindre ?


Euphorion. — Je sens des ailes qui me poussent. Là-bas, là-bas, le devoir m’appelle. Applaudissez à mon essor.

(Euphorion s’élance dans l’air ; ses vêtemens le portent quelque temps, sa tête rayonne et laisse dans le ciel une trace lumineuse.)

Le Chœur. — Icare ! Icare ! assez de malheur !

(Un beau jeune homme tombe aux pieds de Faust et d’Hélène ; son visage rappelle des traits connus. L’enveloppe matérielle disparaît, l’auréole monte vers le ciel, les vêtemens, le manteau et la lyre restent sur le sol.)

Hélène, à Faust. — Antique parole que je devais consacrer par mon exemple : — Le bonheur et la beauté ne restent jamais long-temps unis ! — Les liens de l’existence et de l’amour sont brisés ! Je le déplore, je te dis un douloureux adieu, et me jette encore une fois dans tes bras ! — Perséphone, reçois le fils, reçois la mère !

(Elle embrasse Faust et disparaît ; Faust ne retient d’elle que ses voiles.)


Hélène retourne dans l’Hadès, auprès de Perséphone ; mais les nymphes du chœur refusent de la suivre : une aspiration indicible vers l’éternelle nature les possède, et toutes finissent par s’abîmer dans son sein et se perdre dans la végétation, dans les flots, dans les airs. Ainsi, la nature est la source et la fin des choses ; tout en vient et tout y retourne. Le panthéisme a trouvé de nos jours son poète dans Goethe, comme le dogme catholique avait trouvé le sien, au moyen-âge, dans Alighieri. — Les belles nymphes du chœur se plongent dans la nature ; elles vont donc frémir comme les arbres, s’exhaler comme l’air, couler comme les eaux ; elles vont, pampres verdoyans, serpenter autour des coteaux. Tandis que leur transformation s’accomplit, elles célèbrent leur vie nouvelle en tétramètres trochaïques, idylle digne de Théocrite, que je vais essayer de traduire.