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d’Achille et d’Hélène, vous les retrouvez ici ; rien n’est perdu, ni l’ardeur des caresses, ni l’harmonie de l’air, ni l’enchantement du site, mystérieuse étreinte d’où naît de même Euphorion, l’enfant divin, la poésie. Seulement, au lieu d’Achille, c’est Faust ; au lieu de la beauté humaine, la beauté idéale, l’intelligence. Hélène reste ce que l’antiquité l’a faite, ce qu’elle sera toujours. Quel représentant plus noble et plus digne l’antiquité plastique trouverait-elle ?

Ainsi les élémens de toute poésie se rencontrent et s’assemblent ; l’antiquité épouse le romantisme, et de cet hyménée sort la poésie moderne avec sa forme originale, son intimité sympathique, mais aussi avec ses désirs sans bornes, son impatience du joug et de la règle ; réelle à la fois et symbolique, — tantôt voilée, tantôt nue comme le marbre antique, — aujourd’hui noyée dans les brouillards, demain sereine, et la lumière au front, — féconde et capricieuse comme le soleil, où elle tend sans cesse, au risque de tomber d’en haut comme Euphorion et comme Icare[1]. Icare, c’est l’inquiétude incessante de la pensée, l’aspiration éternelle vers un but ignoré qui s’élève toujours à mesure qu’on monte, la fièvre d’un dieu insensé dans le cerveau d’un pâle adolescent, tout ce qu’il y a de vaste, d’infini dans les vœux des immortels, et tout ce qu’il y a de factice et de vain dans l’action des hommes ; le désir insatiable qui cherche la source, et tombe foudroyé avant de l’avoir découverte ; l’ame de Byron sur deux ailes de cire qui fondent au soleil. — L’antiquité, qui devinait Faust en créant Prométhée, a pressenti Byron dans Icare, et Goethe, — ce magicien de la poésie, ce conciliateur suprême qui sait par quels côtés latens les élémens disjoints d’un monde dont l’unité fait l’harmonie, peuvent se réunir ; — Goethe, après vingt siècles, confond ensemble ces deux relations d’une même idée dans une allusion pleine de mélancolie et de charme, grace à laquelle la trinité symbolique se complète, et dont il emprunte le nom mélodieux aux légendes de la mythologie antique.

Tel est le mythe qui clot l’intermède antique de la tragédie. Au premier aspect, la part que Goethe fait à Euphorion semble assez belle : représentant par sa mère de la beauté pure, de la beauté grecque, et de la science allemande par son père, quelle destinée

  1. Euphorion était né avec des ailes, Jupiter en devint amoureux ; et comme le bel adolescent se dérobait aux désirs furieux de l’olympien, celui-ci le foudroya dans l’île de Mélos, une des Cyclades. Les nymphes qui se chargèrent du soin d’ensevelir Euphorion furent changées en grenouilles. (Ptolem., Hephoest., lib. IV, pag. 317.)