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des âges, demeurer l’oriflamme de la monarchie persane. Il dura autant qu’elle, et fut porté devant tous les rois, depuis Feridoun jusqu’à Jezdejird. Élargi de règne en règne pour qu’on pût placer les joyaux dont chaque monarque voulait le parer, le glorieux tablier avait atteint une dimension de vingt-deux pieds sur quinze, quand il tomba aux mains des Arabes ; il fut alors déchiré et partagé par les vainqueurs, comme l’empire dont il était le palladium populaire et sacré.

Feridoun réorganise la société de Djemschid. « Chacun a son devoir, dit-il ; lorsque l’un entreprend l’œuvre de l’autre, le monde se remplit de désordres… » Puis, Feridoun fit le tour du monde pour voir ce qui était découvert et ce qui était caché ; partout où il vit une injustice, partout où il vit des lieux incultes, il lia par le bien les mains du mal, comme il convient à un roi. »

Feridoun marie ses trois fils aux trois filles du roi d’Yemen, union qui fait croire à d’antiques alliances entre les peuples iraniens et les populations arabes ; ensuite il partage entre eux le monde : Selm, roi de Roum, c’est-à-dire de l’Occident, et Tour, roi du Nord, c’est-à-dire des populations turques et tartares qui, à cause de lui, ont porté le nom de Touraniennes, se soulèvent contre Iredj, roi de l’Iran ou de la Perse proprement dite. Iredj porte une ame douce et tendre, il ne veut point combattre ses frères, il va au-devant d’eux sans armée, sans défense, il leur dit « Je ne veux ni l’Iran, ni l’Occident, ni la Chine, ni l’empire, ni la vaste surface de la terre… Je suis las de la couronne et du trône, je vous donne le diadème et le sceau royal ; mais soyez sans haine contre moi, je ne vous attaque pas, je ne vous combats pas, je ne demande pas la possession du monde, si cela vous attriste… Je suis habitué à être humble, et ma foi me commande d’être humain. »

Mais Tour, le farouche frère d’Iredj, le Caïn de ce tendre Abel, frappe d’un lourd siége d’or la tête innocente de son frère, qui lui demande la vie d’une manière touchante : « Ne fais pas de mal à une fourmi qui traîne un grain de blé, s’écrie-t-il, car elle a une vie, et la douce vie est un bien. Je me contenterai d’un coin de ce monde où je gagnerai ma vie par le travail de mes mains. » Mais Tour, le père du peuple maudit, achève son crime en poignardant son frère.

Le fratricide envoie au vieux Feridoun la tête de son malheureux fils. Feridoun « pleura dans son amertume si long-temps que l’herbe crut et s’éleva jusqu’à son sein. » Il fut consolé par la naissance d’un fils d’Iredj, qui s’appela Minoutcheher et vengea plus tard sur ses