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LE SCHAH-NAMEH.

Tout à coup se fit entendre à la porte du roi le cri de quelqu’un qui demandait justice. C’était un forgeron nommé Kaweh, auquel on avait pris dix-sept fils pour nourrir de leur cervelle les serpens qui sortaient des épaules du roi. Ce malheureux père venait demander qu’on lui laissât le seul fils qui lui restait. En voyant la singulière attestation que Zohak avait arrachée à la faiblesse des grands, « Kaweh se leva, criant et tremblant de colère ; il déchira la déclaration et la jeta sous ses pieds ; puis, suivi de son noble fils, il sortit de la salle en poussant dans les rues des cris de rage… Lorsque Kaweh fut sorti de la présence du roi, la foule s’assembla autour de lui. À l’heure du marché, il courait demandant du secours et appelait le monde entier pour obtenir justice ; il prit le tablier avec lequel les forgerons se couvrent les pieds quand ils frappent du marteau, et il le mit au bout d’une lance. »

Kaweh va chercher Feridoun ; celui-ci, armé de sa massue à la tête de bœuf, vient assiéger Zohak dans son palais. Il n’y trouve que deux filles de Djemschid, dont le tyran avait fait ses épouses et qui apprennent au vainqueur que Zohak s’est enfui dans l’Hindoustan, où il erre désespéré, se baignant dans le sang pour faire cesser les intolérables douleurs que lui causent les morsures des deux serpens. Bientôt, furieux d’apprendre que ses femmes sont au pouvoir de Feridoun, Zohak s’introduit dans sa ville, mais la population est contre lui. « Toutes les terrasses et toutes les portes étaient couronnées par le peuple de la ville, par tous ceux qui pouvaient porter des armes : les vœux de tous étaient pour Feridoun, car leurs cœurs saignaient de l’oppression de Zohak. »

Feridoun, vainqueur, entraîne son ennemi et le porte dans les cavernes du mont Demavend, le Caucase persan, où il est suspendu les mains clouées au rocher. Y aurait-il là un retentissement du mythe de Prométhée à travers l’Orient ?

Ce qui est plus certain, c’est que l’antique insurrection qui renversa la puissance usurpée dont Zohak est le symbole, apparaît dans le récit qui précède comme profondément nationale. Chacun, du toit de sa maison, prend part à la défaite de l’ennemi. On s’écrie : « Quand une bête féroce serait assise sur le trône royal, tous, vieux et jeunes, nous lui obéirions ; mais nous ne souffrirons pas sur le trône Zohak, cet impur dont les épaules portent des serpens. » Celui qui a levé l’étendard de la révolte est sorti des rangs du peuple, l’étendard lui-même est un tablier de forgeron. Il est beau de voir ce rustique emblème de l’indépendance nationale, conservé par le respect