Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/444

Cette page a été validée par deux contributeurs.
440
REVUE DES DEUX MONDES.

de semblables remaniemens le régime sous lequel elle est depuis long-temps placée. Mais que l’on augure bien ou mal d’une révision législative qui serait tentée dans la sévère constitution pénale de la marine, il n’en faut pas moins applaudir aux efforts qui tendent à éclairer quelques parties de ce vaste sujet par des publications consciencieuses. Ainsi se mûrissent les questions qui offrent le champ le plus large aux controverses ; ainsi on les fait avancer peu à peu vers une solution qui arrive sans danger. C’est dans ce but que nous recommandons aux esprits sérieux un livre dont la lecture nous a vivement intéressés, tout en contrariant néanmoins nos idées ; nous voulons parler de la Législation criminelle maritime, par M. Hautefeuille, naguère procureur du roi à Alger, aujourd’hui avocat aux conseils du roi et à la cour de cassation. Ce n’est pas que ce livre de droit pénal ait été écrit dans des vues de réforme ; loin de là, il s’appuie sur cette donnée première, que la législation pénale maritime est suffisante pour faire face aux nécessités journalières du service ; et même, si l’auteur remarque çà et là plusieurs lacunes dans l’ensemble du système pénal, on peut croire que, le jour où il s’agirait de les combler, il proposerait des dispositions au moins égales en sévérité à celles qui ont maintenant force de loi. Son traité a été rédigé au point de vue de cette rigueur traditionnelle qui s’est perpétuée jusqu’ici parmi les chefs de la marine militaire. Cependant ce livre, tel qu’il est, et assuré comme il l’est d’obtenir tous les suffrages des gens spéciaux, s’adresse à beaucoup d’autres lecteurs qui trouveront profit à saisir dans l’ensemble d’un seul cadre tant de textes de lois recueillis avec choix et accompagnés d’un commentaire simple, rapide, lumineux. On sera d’ailleurs forcé de se servir du livre de M. Hautefeuille, même pour le combattre. On peut espérer, du reste, qu’il sera combattu, et que les châtimens consacrés par les lois encore existantes ne seront pas le dernier mot de la pénalité de notre siècle. La réforme est moins nécessaire dans le code pénal de l’armée de terre, où il n’y a pas de ces peines qui dégradent l’ame en déchirant le corps ; et pourtant il y en a d’exagérées et qui portent plus loin que ne le veut le véritable intérêt social. Heureusement, le régime pénitentiaire porte dans son sein le remède à cette étrange aberration de la loi pénale. Pour la marine, qui aura toujours besoin d’une pénalité spéciale, il y a aujourd’hui des châtimens corporels avilissans, intolérables dans nos mœurs et dans l’état de notre civilisation : telles sont la cale, souvenir atroce de la question des temps barbares, et la bouline, dont la gravité s’apprécie par le nombre de coups de cordes infligés au patient. Ces hideux moyens de discipline ne tarderont pas, quoi qu’on en dise, à disparaître de notre code pénal maritime, qu’ils déshonorent, même en demeurant souvent sans application. Fusillez vos matelots sur le pont, comme les Anglais l’ont fait de leur amiral Byng ; reléguez-les à fond de cale, pendant toute une traversée, dans le plus sombre isolement pénitentiaire ; mais respectez en eux la dignité humaine, et quelque chose de plus peut-être, l’honneur français.



V. de Mars.