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parce qu’ils ont hâte de retourner dans leurs départemens. Le gouvernement ne peut pas chômer parce que les députés ont des récoltes à faire, et les intérêts commerciaux, ceux de notre marine marchande, n’ont déjà que trop souffert depuis un an que la question des sucres est pendante.

Sans doute, le ministère actuel a singulièrement compliqué cette affaire par les irrésolutions qu’il a montrées. En arrivant au pouvoir, il avait trouvé dans les cartons un projet de loi tout préparé, qu’on pouvait immédiatement livrer à la discussion de la chambre. C’était au ministère, qui savait à n’en pas douter quelles terribles conséquences devaient résulter de l’ajournement, de l’empêcher de toutes ses forces. Nous avons vu avec plaisir que le ministère est décidé à agir, et à user du droit que lui confère la loi, en décidant la question par une ordonnance royale. M. le ministre du commerce en a pris deux fois l’engagement, devant le commerce de Bordeaux et devant la chambre, et nous espérons qu’il saura remplir sa parole, sans se préoccuper de ceux qui lui criaient à la chambre qu’il commettrait un acte illégal, mais qui se refusaient en même temps à faire l’acte le plus légal du monde qu’on leur demandait, à confectionner une loi. On a objecté au ministère que le cabinet du 15 avril a reculé devant un projet de dégrèvement par ordonnance. Le cabinet du 15 avril n’a pas reculé ; mais la session était à la veille de s’ouvrir, les chambres étaient convoquées quand les députations des ports vinrent lui apporter leurs réclamations, et il ne jugea pas à propos de devancer le jugement du parlement. Assurément, si la chambre eût ajourné le projet de loi, le ministère du 15 avril n’eût pas laissé la question indécise, et mis des intérêts si importans en souffrance jusqu’à la session suivante. Ce que nous ne comprenons pas, il est vrai, c’est l’intention de ceux des ministres qui ont voté pour l’ajournement avec la majorité de la chambre. En votant seul pour la mise de la loi à l’ordre du jour, M. Dufaure nous semble s’être placé, comme ministre, au véritable point de vue de la question. C’était dire à la chambre que le gouvernement fait tous ses efforts pour que le nord et le midi ne soient pas laissés aux prises pendant six mois, pour que toutes les passions ne soient pas soulevées, excitées par l’espoir d’un succès ; et après cette démonstration, le refus de la chambre eût dicté au gouvernement sa conduite. Mais il semble que dans cette question des sucres, le ministère ait passé successivement par toutes les phases de l’incertitude. Son exposé de motifs de la loi sur les sucres, emprunté aux cartons du ministère du 15 avril, établissait que le gouvernement ne s’est pas regardé comme en droit de modifier les tarifs par ordonnance ; et, en effet, c’est ce que le ministère d’alors ne voulait pas faire au moment de l’ouverture d’une session. Depuis, par la dépêche télégraphique transmise à Bordeaux, le gouvernement a déclaré que la loi de 1814 lui donne le droit de procéder par ordonnance, et qu’il se réserve d’user de ce droit suivant les faits qui se manifesteront pendant la session. Enfin la majorité des ministres présens à la séance de la chambre du 16 a voté pour l’ajournement. Il nous semble que leur rôle était au contraire de sommer la chambre de procéder à l’examen du projet de loi ; car sans doute le ministère ne pense pas que son droit de modifier les