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LES VICTIMES DE BOILEAU.

nouveau le pauvre poète, perclus des rhumatismes que la Conciergerie lui avait légués, dévoré de fièvre, et qui traîna jusqu’en 1626 une existence languissante. Il mourut le 25 septembre de cette année, dans l’hôtel de son protecteur, au milieu de ses amis, Mairet, Boissat, Desbarreaux, et fort regretté d’eux, mais ne laissant aucun monument complet du talent qui l’avait exposé à tant de traverses. Son nom, couronné d’une gloire passagère et d’une infamie traditionnelle, est parvenu jusqu’à nous, sans que personne ait encore essayé de le juger. Les mœurs révoltantes que ses ennemis lui avaient attribuées n’ont laissé leur marque sur aucune des œuvres avouées par lui, et la Biographie Universelle a tort de lui reprocher « les prétendues expressions passionnées qu’il adresse à Desbarreaux dans ses lettres. » Elles n’offrent pas le plus léger indice de cette infamie ; on y trouve, au contraire, un portrait fort passionné d’une dame nommée Caliste, dont il était épris, et plusieurs traits relatifs à des amours moins déshonnêtes. Victime de son talent, de son imprudence, de son temps, de sa situation, il disparut ; on ne prononça plus ce nom flétri. Le duc de Montmorency, son généreux protecteur, porta sa tête sur l’échafaud ; Desbarreaux se convertit, Bayle et Saint-Évremont allèrent jouir en Angleterre et en Hollande de leur libre et curieuse pensée. La philosophie épicurienne se transforma, se modifia, se cacha sous l’adresse ingénieuse, la prudence habile et le bon sens social de Molière et de Gassendi. Philosophes et dévots ne s’occupèrent plus de Théophile, ceux-ci par prudence, ceux-là par exécration.

Seulement, hardiesse ou générosité, deux ou trois écrivains qui l’avaient connu, osèrent, presque immédiatement après sa mort, demander un peu de justice pour lui. En vain Mairet, Scudéry et Saint-Évremont prirent la parole en sa faveur : Mairet le nomme « continuateur de Montaigne ; un des premiers esprits de notre âge, non moins fameux par ses malheurs que par ses écrits ; amoureux des héros de l’antiquité. — L’oubly qui suit les longues années, ajoute-t-il, et qui destruit insensiblement la mémoire des plus grands hommes, a si fort affaibli celle de ce divin esprit (qu’à la honte de notre siècle), on diroit quasy qu’elle est aussi morte que luy. » — Scudéry va plus loin ; il le réhabilite en prose et en vers. Il érige, dans une mauvaise ode, le tombeau de Théophile ; au pied du monument, il enchaîne le père Voisin ;

Garasse,
Et le gaillard père Guérin,