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modération les élève et les soutient bien au-dessus des déclamations que dicterait la colère. Il y raconte sans emphase ses tribulations, intéresse le lecteur par la simplicité du ton, démêle toute la trame de ses ennemis, montre les témoins Sajot, Anisé, Bonnet, bourgeois ou écoliers, tous à la dévotion du père Voisin ; la bourgeoise Mercie et le boucher Guibert entrant dans la conspiration sainte ; Garasse se faisant le héraut d’armes de l’entreprise ; les magistrats fort embarrassés, recommençant leurs interrogatoires, prolongeant sa détention, et ne sachant comment se tirer du mauvais pas où les jetaient l’innocence de Théophile d’une part, et de l’autre, la haine publique. Il dit tout cela sans blesser le roi, sans offenser la cour, sans irrévérence pour l’église ; isolant de la cause de Garasse la religion elle-même avec une adresse et une naïveté très éloquentes. Il n’élucide pas seulement les faits, il ne débrouille pas seulement cette intrigue, il traite avec une extrême supériorité le côté moral de la cause, prend le père Garasse à partie, et ne le quitte que lorsqu’il l’a fustigé dans tous les sens.

Voilà Théophile. C’est là ce qui doit protéger ou plutôt ressusciter ce nom perdu. Boileau avait besoin d’une rime, lorsqu’il a écrit ces deux vers malheureux :

À Malherbe, à Racan préférer Théophile,
Et le clinquant du Tasse à tout l’or de Virgile.

La supériorité de Théophile n’était point dans ses vers : si vous le comparez à Malherbe ou à Racan, vous lui faites tort ; comparez-le à Coeffeteau et à Balzac. Il n’était pas seulement bon prosateur par instinct et dans l’intérêt de sa défense ; il avait raisonné l’art du style, n’admettant ni l’originalité prétentieuse de Cyrano, ni la frivolité de Voiture, ni le ronsardisme du langage ; ses théories sur cette matière sont justes et originales ; on croit écouter la spirituelle et forte voix de Michel Montaigne : « Il faut que le discours soit ferme, que le sens y soit naturel et fertile, le langage exprès et signifiant. Les afféteries ne sont que mollesse et qu’artifice, qui ne se trouvent jamais sans effort et sans confusion. Ces larcins, qu’on appelle imitation des auteurs anciens, ne sont point à notre mode. Il faut escrire à la moderne ; Démosthènes et Virgile n’ont point escrit en nostre temps, et nous ne sçaurions escrire en leur siècle. Leurs livres, quand ils les firent, estoient nouveaux, et nous en faisons tous les jours de vieux. L’invocation des muses (à l’exemple de ces païens) est profane et ridicule. Ronsard, pour la vigueur de l’esprit et la vive imagination,