Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/391

Cette page a été validée par deux contributeurs.
387
LES VICTIMES DE BOILEAU.

beaux feuillages un accueil bienveillant, mêlé d’admiration et de pitié. Toute la cour penchait vers Théophile, qui n’était en définitive que le représentant des plaisirs, des talens et des torts des gentilshommes. Comment le protéger cependant ? Il fallait se taire devant le silence royal, la fureur des dévots et le préjugé du peuple. On était si bien disposé pour lui à la cour, que, pendant son séjour forcé chez le duc, il écrivit sa tragédie de Pyrame, et la fit représenter au Louvre, où elle fut très applaudie. « On me reprocha seulement, dit-il, l’énergie de ma poésie et la tristesse sépulcrale du sujet. » Il pense que le roi va lui devenir favorable, et s’étonne que le duc de Montmorency sollicite pour lui faiblement ; dans une lettre confidentielle, il attribue cette froideur au désir que le duc a de le garder chez lui. Il se trompe ; il ne comprend pas lui-même les causes secrètes de son malheur ; il ne voit pas la fatalité de cette situation suspendue entre la cour et les dévots ; l’arrêt du parlement se charge de l’en instruire. On satisfait au cri populaire en le condamnant par contumace. Déclaré coupable de lèse-majesté divine et humaine, il fera donc amende honorable devant Notre-Dame et sera brûlé vif ou en effigie. Personne n’élève plus la voix en faveur de ce paria. Le duc lui-même lui conseille la fuite. Il se dirige vers la Picardie, puis vers la Flandre, et va s’embarquer pour l’Angleterre. — J’attends votre carrosse ;… on me force de fuir… et je vais des flammes à la mer ! — « Opperior vos hic, aut carpentum tuum, quò ad vos devehar. Asseverabat heri maris præfectus nos intra triduum tandem abituros. Sic ab ignibus ad undas vocor. »

Mais ses ennemis le poursuivaient. On jugera bientôt si cette poursuite était sérieuse et acharnée. Le père Voisin, ami de Garasse, le fait suivre et épier ; Leblanc, lieutenant du prévost de la connétablie, se met à ses trousses, ne quitte point sa piste, et finit par l’arrêter au Catelet. Le gouverneur de la citadelle donne ordre qu’on le saisisse. « D’abord que je fus pris, on me tint pour condamné ; ma détention fut un supplice, et les prévosts des exécuteurs. J’en eus deux sur chacun de mes bras, et autour de moi autant que le lieu par où je passais en pouvait contenir. On m’enleva dans la chambre du sieur de Meulier pour y faire mon procès-verbal, qui ne fut autre chose que l’inventaire de mes hardes et de mon argent, qui me fut tout saisi. Après mon interrogatoire, qui ne contenait aucune accusation, M. de Caumartin m’assura que j’étais mort. Je lui répondis que le roi était juste et moi innocent. De là, il ordonna que je fusse conduit à Saint-Quentin. On m’attache de grosses cordes par-