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GABRIEL.

pourrai dormir… Mon Dieu, je n’ai pas d’autre ami que vous !… Depuis le jour fatal où ce secret funeste m’a été dévoilé, je ne me suis jamais endormi sans remettre mon ame entre vos mains, et sans vous demander la justice et la vérité !… Vous me devez plus de secours et de protection qu’à tout autre, car je suis une étrange victime !… (Il s’endort.)

ASTOLPHE, se relevant.

Impossible de dormir en paix, d’épouvantables images assiègent mon cerveau. Il vaudra mieux me tenir éveillé, ou boire une bouteille de ce vin que le charitable sbire, ému jusqu’aux larmes par la jeunesse et par les écus de mon petit cousin, a glissée par-là… (Il cherche sous les bancs, et se trouve près du lit de Gabriel.) Cet enfant dort du sommeil des anges ! Ma foi ! c’est bien, à son âge, de dormir après une petite aventure comme celle de ce soir. Il a, pardieu ! tué son homme plus lestement que moi ! et avec un petit air tranquille… C’est le sang du vieux Jules qui coule dans ces fines veines bleues, sous cette peau si blanche !… Un beau garçon, vraiment ! élevé, comme une demoiselle, au fond d’un vieux château, par un vieux pédant hérissé de grec et de latin ; du moins c’est ce qu’on m’a dit… Il paraît que cette éducation-là en vaut bien une autre. — Ah ça ! vais-je m’attendrir comme le cabaretier et comme le sbire, parce qu’il a promis de payer mes dettes ? Oh, non pas ! je garderai mon franc parler avec lui. Pourtant, je sens que je l’aime, ce garçon-là ; j’aime la bravoure dans une organisation délicate. Beau mérite, à moi, d’être intrépide, avec des muscles de paysan ! Il est capable de ne boire que de l’eau, lui ! — Si je le croyais, j’en boirais aussi, ne serait-ce que pour avoir ce sommeil angélique ! mais, comme il n’y en a pas ici… (Il prend la bouteille et la quitte.) Eh bien ! qu’ai-je donc à le regarder ainsi, comme malgré moi ? Avec ses quinze ou seize ans, et son menton lisse comme celui d’une femme, il me fait illusion… je voudrais avoir une maîtresse qui lui ressemblât. Mais une femme n’aura jamais ce genre de beauté, cette candeur mêlée à la force, ou du moins au sentiment de la force… Cette joue rosée est celle d’une femme, mais ce front large et pur est celui d’un homme. (Il remplit son verre et s’assied, en se retournant à chaque instant pour regarder Gabriel. Il boit.) La Faustina est une jolie fille… mais il y a toujours dans cette créature, malgré ses minauderies, une impudence indélébile… son rire surtout me crispe les nerfs. Un rire de courtisane ! — J’ai rêvé qu’elle soupait avec Alberto ; elle en est, mille tonnerres, bien capable ! (Regardant Gabriel.) Si je l’avais vue une seule fois dormir ainsi, j’en serais véritable-