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bien qu’il était perdu dans l’esprit du roi. Ses amis lui conseillèrent de s’absenter et d’aller voir l’Angleterre, où trônait alors le pédant Jacques Ier, roi de la théologie et du calembour. Théophile partit. Retenu quelques semaines à Calais, par le mauvais temps, il adressa d’assez beaux vers à cet Océan, « vuide de rage et de pitié, »

Et qui nous montre, à l’aventure,
Ou sa haine ou son amitié.

Cet « esclave du vent et de l’air, » comme il le nomme avec son énergie accoutumée, lui inspire une belle strophe :

Parmi ces promenoirs sauvages
J’oy bruire les vents et les flots ;
Attendant que les matelots
M’emportent loin de ces rivages.
Ici les rochers blanchissans,
Du choc des vagues gémissans,
Hérissent leurs masses cornues
Contre la colère des airs,
Et présentent leurs têtes nues
À la menace des éclairs.

De tels vers ne sont pas à dédaigner. La correction leur manque, mais non la force. Il s’embarqua enfin, et du pont du navire il écrivit à Desbarreaux une lettre latine, singulière par sa concision « Notre demeure, dit-il, est l’Océan ; demeure flottante, périlleuse ; rochers, vents, ondes, sables ; ici la société des hommes est dure ou nulle. Endormi, éveillé, ivre, à jeun, il faut chanceler et vomir. Toi, dors paisible, soigne-toi, jouis de toi-même, et jouis de Paris entier. Adieu. » On l’avait sans doute recommandé à la cour de Jacques ; l’accès du palais lui fut fermé, et une épigramme le vengea :

Si Jacques, le roy du sçavoir,
N’a pas trouvé bon de me voir,
En voici la cause infaillible :
C’est que ravy de mon escrit,
Il crut que j’étais tout esprit,
Et par conséquent invisible.

Mais pourquoi la persécution suit-elle Théophile de Viau en pays étranger ? On ne peut s’empêcher de soupçonner quelque cause plus réelle et plus secrète de sa disgrace. Il avoue que le roi Louis XIII était fort courroucé contre lui. « Que faire, s’écrie-t-il,