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LES VICTIMES DE BOILEAU.

L’ordre où j’étais contraint m’a bien fait de la peine.
Ce travail importun m’a long temps martyré,
Mais enfin, grace aux dieux, je m’en suis retiré.
Peu, sans faire naufrage et sans perdre leur Ourse[1],
Se sont aventurés à cette longue course.
Il y faut par miracle être fou sagement,
Confondre la mémoire avec le jugement,
Imaginer beaucoup, et d’une source pleine
Puiser toujours des vers dans une même veine.

La Biographie universelle attribue à cette époque de sa vie une détestable tragédie de Pasiphaë, que le libraire Oudot fit paraître à Troyes, en 1631, cinq ans après la mort de Théophile. « Plusieurs, dit le libraire, estiment que ce poème a été fait du style de feu sieur Théophile. » Assurément il n’en est rien. Cette Pasiphaë, que nous avons eu le courage de lire, est plus monstrueuse que le Minotaure ; Théophile n’a jamais écrit des vers semblables à ceux que Phèdre prononce dans cette incroyable tragédie :

Amour n’est qu’un tourment de chatouilleuse braise
Que bien peu de liqueur facilement appaise.
Je le dis pour l’avoir tant seulement oui.
Ce feu perd son désir quand il en a joui.
Pourquoi ne tentez-vous que cette rage allente
D’un réfrigère doux son ardeur violente ?

Et Ariadne répond :

La parque tient captif le remède bénin
Qui seul peut adoucir mon amoureux venin.

Théophile n’aurait pas écrit ces ridicules sottises ; et même pour la cour, en s’efforçant de mignarder son style naturellement ferme, il trouvait des choses charmantes. Plusieurs gentilshommes, habillés en matelots, venaient vanter les délices de leur vie, les amours se jouant autour de leurs rames, la caresse des vents, la lueur douce des étoiles, et la splendeur magique de l’océan des cours :

Notre océan est doux comme les eaux d’Euphrate ;
Le Pactole ou le Tage est moins riche que luy :
Ici jamais nocher ne craignit le pirate,
Ny d’un calme trop long n’a ressenti l’ennuy.

Sous un climat heureux, loin du bruit du tonnerre,
Nous passons à loisir nos jours délicieux.

  1. Étoile polaire.