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la bourgeoisie battait des mains, les chaires retentissaient d’anathèmes, et la cour mattée essuyait de son mieux cet orage. Un écrivain qui n’est pas sans verve, intelligence ardente et logique, qui allait impétueusement aux dernières conséquences de ses systèmes, espèce de tribun catholique, Marat de ce soulèvement passager, prit l’initiative, et se mit à brandir sa plume bouffone : ce fut Garasse. Reynauld, Voisin le père Caussin, l’escortèrent. Nous verrons bientôt comment Théophile attira sur lui toute la fureur de la tempête. Les jésuites et le peuple triomphèrent en voyant brûler son effigie. Ainsi cette ridicule flamme, qui dévorait le mannequin du gentilhomme, satisfaisait une passion populaire et signalait un mouvement de l’esprit public.

Théophile, cependant, se promenait tranquille dans les belles allées de Chantilly, chez le duc de Montmorency, qui protégeait sa jeunesse, sa licence, son bel-esprit et son talent. Là il faisait des vers bien scandés, bien rimés, partagés en stances qui ne manquent pas d’harmonie, mais dénués de mouvement, d’images et de nouveauté ; là, il chantait, en deux cents strophes égales, ce château hospitalier,

L’autel de son dieu tutélaire,

et célébrait, dans son ode, ce cabinet de verdure, nommé par lui bois de Sylvie, et que l’on appelle encore du même nom ; merveilleux bosquet,

Enceint de fontaines et d’arbres,

qui l’abritait contre la vindicte des bourgeois. Mairet, son commensal, protégé aussi par le duc, venait l’y trouver. On se promenait en causant philosophie, épicuréisme, art des vers, et l’on bravait ensemble la foudre parlementaire, les cris des jésuites, la fureur de la canaille. Deux mouvemens se faisaient donc sentir alors dans la société française : l’un, qui partait des gens de cour et se dirigeait vers le luxe mondain, la liberté de penser, la débauche et le sensualisme ; l’autre, qui, émané de l’église et du peuple, protestait contre cette licence, en faveur du vieux catholicisme et de la sévérité des mœurs bourgeoises. À la tête de cette dernière armée, le burlesque Garasse embouchait, de tout son pouvoir, la trompette de la ligue. Théophile de Viau ne commandait et ne dirigeait rien ; mais son nom était devenu le mot d’ordre des gens d’esprit et des esprits forts ; on disait impie comme Théophile, spirituel comme Théophile. La populace ne doutait pas que ce ne fût un diable sous forme humaine,