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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Ô ciel ! ô terre ! ô mer ! ô Dieu, père commun ! etc.

« Sainte-Marthe écrivit aussi contre lui son excellente poésie iambique in Mezentium, et l’on ne désista pas qu’il ne fût pendu et bruslé en place de Grève. »

On ne désista pas ! Vous entendez Garasse : il en est plein de joie. Mais l’athée Geoffroy Vallée n’était pas le seul de sa race. Mersenne prétend que l’on comptait alors cinquante mille athées à Paris, probablement des criminels de l’espèce de Théophile et de Vallée, aimant le plaisir et ne s’en cachant pas. Un petit neveu de Vallée, Desbarreaux, devint célèbre à son tour par son épicuréisme ; athée proverbial, gastronome renforcé, amant de Marion dans sa jeunesse, et qui connut beaucoup Théophile. Toute la cour passait pour athée. Bassompierre donnait 200 écus de pension à Lucilio Vanini, qu’il nommait son aumônier et qui alla se faire brûler à Toulouse. Les seigneurs réunissaient autour d’eux des amis enjoués, qui affichaient la volupté et le scepticisme. Les « esprits forts du Marais » brillaient au premier rang. Le baron de Panat, disciple de Vanini et ami de Théophile, faisait des prosélytes à Toulouse ; Fontrailles, ce bossu spirituel qui conspira contre Richelieu avec Cinq-Mars, Bois-Yvon, dont Tallemant s’est occupé, appartenaient à la même armée. C’était Bois-Yvon qui disait à un mauvais prédicateur : « Ne me parlez pas tant de Dieu ! vous m’en dégoûteriez ! » et à son confesseur : « Que voulez-vous que Dieu et moi nous ayons de commun ? Il est si grand seigneur et moi si petit compagnon ! » Les hautes régions fourmillaient de ces libertins, comme on les appelait. Qu’ils eussent le goût du luxe, du plaisir, de la débauche, des voluptés recherchées et fougueuses ; on n’en peut douter quand on parcourt les productions immondes et satiriques qui remplissent le Cabinet, l’Espadon, le Parnasse des vers de ce temps, et tous les recueils cyniques qui datent des premières années de Louis XIII.

Tout cela était entre les mains des courtisans et les amusait ; mais le bourgeois, le prêtre, le marchand, le magistrat, le procureur, le prévôt, le médecin, avaient ces abominations en grande horreur. Les jésuites s’emparèrent de cette haine. Mal vu alors des parlemens et du peuple, l’Ordre espéra tirer parti de ce mouvement national et bourgeois, dernier ricochet de la ligue, qui se déclarait contre les écrivains obscènes, les gentilshommes libertins et les athées bons vivans. On n’attaquait point la cour, on défendait seulement Dieu et la morale ; c’était habile. Le roi se taisait ; le parlement approuvait ;