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elle ; on capitule avec le roy, ne le sert qu’en payant, prend tout pour soy, appointe ces pauvres malotrus soldats (en petit nombre) à courir la poule et dénicher les cochons de nos fermes, n’y rien laisser que ce qu’ils ne peuvent avaler ou emporter ; et le pauvre manant et sa desplorable famille courbent sous ce faix insupportable. » — Ainsi parle des courtisans le bourgeois de Paris en 1623. L’homme d’église est plus sévère ; il ne prend pas la chose aussi gaiement ; il a des malédictions bien plus sérieuses contre les poètes et les courtisans, les gentilshommes et les auteurs, contre les libertins et les athées. « Allez au feu, bélîtres, dit le père Garasse, allez, disciples de ce grand buffle de Luther ; allez avec vos écrits, empoisonneurs d’ames ; vous qui dites qu’un bel esprit ne croit en Dieu que par contenance ; vous qui, dans les cabarets d’honneur, traités en princes à deux pistoles par tête (le tout pris sur la pension des seigneurs qui vous font une aumône bien mal employée), après avoir vuidé cinq ou six verres, faites fi de la théologie et de la philosophie ! Tout votre faict, tout l’objet de votre bel esprit, c’est un sonnet, une ode, une satyre, une période française, une proposition extravagante ! Allez dans le feu, méchans ! »

Voilà les opinions qui s’ameutèrent contre Théophile, brûlèrent son effigie, et essayèrent de le pendre.

Ces méchans, que le terrible Garasse dépêchait si vite en enfer, ces athées n’étaient, comme le dit Ménage, que de joyeux sceptiques, qui prétendaient raisonner leur nonchalance, s’amusaient de leur mieux et s’embarrassaient peu du reste. Entre les deux camps du calvinisme et de la foi catholique, était née une théorie d’insouciance dont Montaigne ne s’éloigne pas beaucoup, que Ninon et Chaulieu ont depuis professée sans péril, et que Ménage appelle « un déisme commode, reconnaissant un dieu sans le craindre et sans appréhender aucune peine après la mort. » Geoffroy Vallée, pour avoir imprimé cette opinion en 1570, avait été pendu, puis brûlé le 9 février 1574. « Homme souple et remuant, dit Garasse[1], il s’était glissé dans la familiarité de ces sept braves esprits qui faisaient la brigade ou la pléiade des poètes, dont Ronsard était le coryphée. Il avait commencé à semer, parmi eux, de très abominables maximes contre la Divinité, lesquelles avaient déjà esbranlé quelques-uns de la troupe… Ronsard cria : Au loup ! et fit son beau poème contre les athées, qui commence :

  1. Doctrine curieuse.