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LES VICTIMES DE BOILEAU.

crits infâmes son misérable papier ; il vomit le poison qui se répand au loin dans toutes les régions ; il jette sur tous les rangs et tous les ordres les médisances et les injures. Il calomnie les bons, il déchire la probité ; et ce qu’il y a de merveilleux, c’est que notre saint père le reçoit à sa table, cet ennemi public, cet homme hideux, cette souillure du genre humain, qui a autant de faconde qu’il a peu de sagesse. » — Voilà comment on parlait alors de Rabelais parmi les gens graves. Ne vous y trompez pas : l’opinion de Puyherbault était l’opinion populaire ; Ronsard et ses amis, ayant sacrifié un bouc tragique au dieu Bacchus, échappèrent avec peine à la vengeance catholique. La Place, dans ses excellens Mémoires sur les règnes de François et de Henri II, n’attaque pas moins vivement les Italiens, les gens de cour et les poètes, trois espèces d’hommes que la haine universelle confondait et vouait à la damnation. Henri Estienne déblatère éloquemment contre le langage français italianisé ; Feu-Ardent veut que l’on exile tous les gens de lettres aux antipodes.

La cour de Henri II, celle de Henri III, même celle de Henri IV, justifiaient assez par leurs étranges déportemens la révolte fanatique et morale qui arma Jacques Clément contre Henri III, Ravaillac contre Henri IV. Au commencement du règne de Louis XIII, le mécontentement populaire n’est pas assouvi ; il se rue avec une incroyable fureur sur le maréchal d’Ancre, Italien, prodigue, licencieux, insolent, homme de cour, d’un luxe splendide, et qui d’ailleurs n’avait fait de mal à personne. À peine est-il mort, le favori de Luynes recueille à son tour cet héritage de haine ; les injures lancées contre lui en vers et en prose, recueillies en un volume qui a eu trois éditions[1], s’adressent à toute la gentilhommerie parée, musquée, littéraire, libertine, que Puyherbault et La Place avaient si fort maltraitée. « Bonne mine, bonne piaffe (dit un pamphlet de 1623, intitulé : la Pourmenade des Bonshommes ou le Jugement de notre siècle) ; bien frisez, perruquez, goderonnez, parfumez ; le jeu et le b… fréquentez ; calomnies contre les honnestes femmes qui ne les auront voulu escouter, vantises de celles qui auront esté si sottes que de leur prester ; ne point payer ses debtes quand on est aux champs ; faire le petit roy ; lever des contributions sur ses vassaux ; faire travailler à corvées, frapper l’un, battre l’autre, faire des mariages à leur plaisir ; c’est pitié que d’avoir à vivre avec eux. La guerre vient-

  1. Recueil des pièces les plus curieuses qui ont été faites pendant le règne de M. le connétable de Luynes, 1625, pag. 125.