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LES ÎLES SANDWICH.

a joui pendant quarante ans ; il se souvient du temps passé, croit avoir raison de se plaindre du présent, et redoute l’avenir ; il n’est donc pas étonnant qu’il soit mécontent. Du reste, on dit qu’il est riche, et ses habitudes de stricte économie doivent augmenter journellement sa fortune.

Pendant mon séjour à Honolulu, je fis quelques excursions dans les environs de la ville. La vallée au milieu de laquelle est située Honolulu est vraiment magnifique, et produirait en abondance nos denrées coloniales ; les collines qui l’environnent sont elles-mêmes susceptibles de culture, et pourraient produire du café excellent et du coton de très belle qualité. Je fis un jour avec M. Grimes, négociant américain, une promenade charmante. À un mille de la ville, nous quittâmes la route qui s’étend le long du rivage, et nous nous dirigeâmes vers la colline ; nous la gravîmes par une route de voiture assez commode. Quand nous fûmes arrivés au sommet, M. Grimes arrêta son cheval, il voulait jouir de mon admiration. En effet, il est difficile d’imaginer une vue plus pittoresque et plus séduisante. Derrière nous, le soleil disparaissait dans l’Océan ; devant nous, et resserrée entre deux hautes-montagnes dont les découpures bizarres se dessinaient en silhouette sur l’azur du ciel, s’étendait une verte et fraîche vallée, coupée par un torrent qui fuyait à travers les plantations de taro et de cannes à sucre ; au centre de la vallée, il y avait une cinquantaine de cabanes ombragées par des arbres à pain et des ku-kuy ; des bestiaux paissaient dans la prairie, l’ombre des montagnes se projetait sur toute la vallée, l’air était frais et embaumé ; la colline sur laquelle nous nous trouvions s’élevait à notre gauche par une pente insensible ; et une herbe fine et dorée la couvrait comme d’un tapis de velours ; autour de nous tout était muet, quelques oiseaux seulement gazouillaient en passant au-dessus de nos têtes. Nous restâmes là jusqu’à ce que la nuit vînt nous arracher à ce ravissant spectacle. Si je résidais à Honolulu, je viendrais souvent rêver dans la vallée de Toonoma.

Quoique le luxe européen commence à s’introduire à Honolulu, on y voit encore très peu de voitures ; quelques résidens européens et américains ont des cabriolets et des chars-à-bancs. Kauikeaouli a une voiture dont il ne se sert jamais ; les chefs riches, et surtout leurs femmes, qui, à cause de leur embonpoint, semblent être dans l’impossibilité de marcher, se font traîner dans des espèces de brouettes tirées par des hommes. Je me rappelle avoir rencontré dans les rues d’Honolulu le gouverneur de l’île Mawi et sa femme faisant des visites ; ils étaient étendus sur le ventre, l’un à côté de l’autre, le menton appuyé sur leurs deux mains, et ces deux immenses corps, ballottés par le mouvement du véhicule, me rappelaient parfaitement certaines charrettes qui nous arrivent de Sceaux ou de Poissy. Une foule nombreuse de serviteurs les suivait et les précédait, l’un portant un parasol, l’autre un chasse-mouche, un troisième l’héritier de cette noble famille. Les hommes qui traînaient ce couple intéressant allaient au grand trot : il est vrai que l’attelage se composait d’au moins huit ou dix robustes gaillards, qui, de temps en temps, étaient relevés par d’autres.

Le gouverneur de Mawi s’arrêta à causer avec moi, et, grace à M. Charlton,