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LES ÎLES SANDWICH.

et frappée en cadence par leur main droite, faisait l’office de castagnettes ; c’est qu’ils chantaient les fureurs de la jalousie.

Leur chant, comme celui des premiers chanteurs, n’était qu’une conversation animée. Au reste, on ne connaît pas d’autre chant aux îles Sandwich. La musique instrumentale des insulaires, qu’on retrouve encore loin des côtes, et dont nous pûmes observer quelques vestiges à Owhyhee, consistait en tam-tams et en une espèce de flûte à deux trous, dans laquelle on souffle avec le nez, ce qui n’est rien moins que gracieux. Les notes tirées de cet instrument ne sont pas plus variées que celles de leur musique vocale.

Enfin on nous annonça les danses. Mais le temps n’est plus où des essaims de danseurs et de danseuses se réunissaient dans les vertes prairies des îles Sandwich, et là, dans leurs danses gracieuses accompagnées de chants, rappelaient les hauts faits des guerriers. Les chanteurs et les danseuses étaient les historiographes du pays ; c’est dans leur mémoire que se conservaient les anciennes traditions. Les détails d’une guerre faisaient le sujet d’un chant, et c’est dans les chants des anciens bardes sandwichiens que les navigateurs qui ont parlé des îles Sandwich ont puisé leurs matériaux. C’est donc avec regret que j’ai vu ces chants nationaux défendus, sous prétexte qu’ils étaient profanes. Autant vaudrait presque condamner Homère et Virgile ! La danse surtout est tombée en grande défaveur par suite des injonctions des missionnaires. Aussi la danse qu’on nous fit voir se ressentait-elle de cette disposition.

Une seule danseuse parut. Autrefois, gracieuses et légères, les danseuses avaient le buste entièrement nu ; des pièces d’étoffe, élégamment drapées, se relevant jusqu’aux genoux, et soutenues sur les hanches par des espèces de paniers, prêtaient une nouvelle originalité à leurs mouvemens ; des colliers de fruits du pandanus, des couronnes de feuillage ou de plumes, des bracelets de dents de chien ou de cachalot entourant leurs bras et leurs jambes et s’agitant en cadence, complétaient leur parure. Celle qui s’offrit à nous portait une chemise de calicot ; sa danse nous parut monotone. Elle s’accompagnait de la voix, et un chanteur, placé dernière elle, lui prêtait le secours de son chant et marquait la mesure avec une calebasse dont il frappait la terre. Une seule chose nous parut remarquable dans cette danse, c’est que la danseuse réglait elle-même la mesure et donnait, de temps en temps, au musicien le sujet du chant. Le musicien s’attachait à suivre la cadence d’après le mouvement des pieds de la danseuse, et il y réussissait avec une rare précision. Cependant, au bout d’une demi-heure, la danse commença à nous paraître longue, le roi s’en aperçut, et, comme il avait été impossible de se procurer d’autres danseuses, on nous fit entendre encore quelques chants ; puis chacun remonta à cheval pour retourner à Honolulu.

Nous avions passé une journée agréable, mais nous avions été désappointés. Ce roi des îles Sandwich, en veste et en pantalon, ces chefs tous habillés à l’européenne, ce service presque européen, ces manières communes et familières, pouvaient presque nous faire croire que nous venions de passer quelques heures dans la basse classe d’une nation civilisée. Puis, enfin, cette