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tance, nous découvrions la mer et les bâtimens dans le port ; à nos pieds et à une profondeur à pic de quatre à cinq cents toises, nous distinguions la cime des arbres qui tapissent la belle vallée d’Hunaou, dont la pente s’inclinait doucement jusqu’à la mer, qui, de ce côté-ci, comme de l’autre, encadrait le tableau d’une ceinture de brisans. Il serait impossible de peindre, et plus encore d’exprimer par des mots, les accidens de terrain si variés et si pittoresques qui font de cette vue un des plus magnifiques panoramas que la nature puisse offrir à l’enthousiasme de ses admirateurs. Nous étions au sommet de ce mur de montagnes qui divise l’île en deux parties égales, nous étions au Pari. C’est un lieu célèbre dans l’histoire des îles Sandwich ; c’est là que le père du roi actuel, Tamea-Mea, qui vainquit tous les chefs des différentes îles et qui s’empara du pouvoir absolu, gagna sa dernière bataille. Ce sont les Thermopyles d’Oahou. Là, le roi d’Oahou, vaincu, fugitif, préféra une mort volontaire à la mort cruelle que le vainqueur lui réservait ; il se précipita, dit-on, du haut de cette muraille à pic avec tous ceux de ses guerriers qui n’étaient pas tombés sous le casse-tête de l’ennemi. On dit que Tamea-Mea avait fait placer des filets derrière ses troupes, afin que, n’ayant aucun espoir d’échapper à la mort par la fuite, ses guerriers combattissent avec plus de courage.

Du sommet du Pari, nous apercevions les préparatifs de notre dîner. Nous voyions les habitans des vallées gravir le sentier qui serpente sur les flancs de la montagne, portant sur leurs têtes les provisions que les gens du roi avaient requises de chacun d’eux ; car, aux îles Sandwich, le roi est maître absolu de la fortune de ses sujets. Un toit recouvert de feuillage avait été élevé pendant la nuit ; on avait étendu sur la terre de vertes et fraîches fougères, puis une nappe, et sur cette nappe des bouteilles, des assiettes, des couverts européens étaient rangés avec une certaine symétrie. J’avoue que tout cet appareil de civilisation ne me plut pas : tout cela ressemblait trop à un dîner de nos bons bourgeois de Paris sur la verte pelouse de Montmorency ; j’aurais préféré l’ancienne manière du pays. Mais il fallut bien nous contenter de ce que nous avions. Je remarquai que la faïence était de manufacture anglaise, et la nappe d’un tissu de coton blanc américain ; ces deux nations ont réellement envahi tout le commerce de l’Amérique et de l’Inde. L’heure du dîner ne se fit pas attendre. Nous nous étendîmes tous sur les fougères, et le roi en ayant donné l’ordre, on servit le louaou. Une fête astronomique, aux îles Sandwich, s’appelle louaou ; elle prend son nom d’un plat indispensable fait de jeunes pousses de taro cuites à l’eau ou dans la graisse. En un instant, la nappe fut couverte de cochons de lait, de volailles, de patates douces, de louaou, de poisson, etc., tout cela enveloppé de feuilles et cuit en terre au moyen de briques rougies au feu. Nous nous récriâmes tous sur l’excellent goût de ce qui nous fut servi : le poisson surtout, cuit dans des feuilles de taro, nous parut délicieux, et nous dûmes convenir tous que nous n’en avions jamais mangé d’aussi bon. Une seule chose nous sembla manquer au repas ; nous nous attendions tous à manger du chien, mais nous n’en vîmes pas paraître. Il faut croire que les missionnaires ont interdit aux naturels l’usage de cette viande. Toute-