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elle encore qui manifeste par la commission de la chambre, approuvée par le ministère, le dessein de former une alliance entre les puissances qui semblent appelées, par leur intérêt, à maintenir l’empire ottoman. La France se charge donc, on peut dire seule, d’arrêter le sultan dans ses desseins contre son vassal, de l’empêcher d’entrer en Syrie ou d’y demeurer, quand il a rassemblé à grands frais toutes ses troupes qu’il a retirées de l’Europe pour les concentrer en Asie. La France fera virer de bord la flotte qu’il a équipée avec une persévérance inouie, surmontant tous les obstacles, et venant lui-même chaque jour encourager les travaux dans les fonderies de canons et les arsenaux. Par une seule signification intimée au chef de l’empire ottoman, elle l’obligera à renoncer au projet en faveur duquel il avait souscrit le traité de commerce avec l’Angleterre, qui livrait à cette puissance tout le trafic de la Turquie, mais qui mettait en opposition les intérêts anglais et ceux du pacha d’Égypte. Le rôle est beau, mais mille antécédens, aussi glorieux que déplorables, nous font craindre que la France n’oublie dans cette affaire qu’un seul soin, celui qu’elle oublie d’ordinaire, le soin de ses intérêts.

Les dernières discussions de la chambre à ce sujet ne nous semblent pas de nature à éclaircir beaucoup cette question, quoique les orateurs les plus éminens, et des orateurs nouveaux d’un talent véritable, aient pris la parole. Nous avons beaucoup entendu parler de généralités et d’équilibre européen ; mais c’est à peine si un orateur a touché la question des intérêts commerciaux, cette question si respectable en Angleterre, en Autriche, en Russie, et qui est, en effet, aujourd’hui la première des questions politiques. On nous a démontré la nécessité de maintenir le statu quo, mais non la nécessité de multiplier nos rapports avec l’Orient, et d’y introduire, par des voies si faciles à établir pour nous, les produits de notre industrie. En un mot, il a été beaucoup trop question de la dignité de la France, mais beaucoup trop peu de sa prospérité, et cependant cette dernière question renfermait la première, car le soin de la protection des intérêts d’une nation entraîne toujours le soin de sa dignité et de son honneur. C’est en ceci que la politique diffère de la morale ordinaire, et la lettre, loin de le tuer, y vivifie l’esprit.

L’Angleterre a de grands intérêts en Orient, nul n’en doute. A-t-on vu le parlement anglais délibérer sur la vie ou la mort de l’empire turc, et la chambre des communes a-t-elle mandé le ministère à propos d’un crédit, pour lui imposer une ligne de conduite ? Nullement. C’est qu’en Angleterre on sait parfaitement que les intérêts matériels doivent diriger la politique anglaise, et il ne peut y avoir les moindres doutes à ce sujet. En Angleterre, la balance du commerce a levé toute incertitude à cet égard, et l’on y sait de quel œil on doit regarder la France, la Russie et l’Autriche, du point de vue où les intérêts anglais se placent en Turquie. Toutefois, comme en France on n’en est pas venu à cette politique pratique, la discussion qui a eu lieu au sujet du crédit de dix millions, quelque vague qu’elle soit en certains points, aura un résultat favorable, non en affermissant le gouvernement dans le dessein de jouer en Orient un rôle qui pourrait nous devenir préjudiciable, mais en montrant que la