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REVUE LITTÉRAIRE.

Louis XIV, quand M. Sainte-Beuve aura abordé les deux grandes figures du XVIIIe siècle, Rousseau et Voltaire, qui appellent son habile pinceau ; ce sera là une véritable histoire, par groupes et par portraits, de la littérature française des deux grands siècles. Nul autre recueil déjà n’offre une lecture plus instructive, plus pleine de vues ingénieuses et de finesses érudites ; par l’ensemble, enfin, c’est un grand et durable monument élevé à nos gloires intellectuelles. Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes, qui est depuis long-temps déjà la patrie littéraire de M. Sainte-Beuve, connaissent la plupart de ces morceaux, et sont habitués à y retrouver le poète aimé, avec son art quelquefois raffiné, et aussi le critique spirituel et plein d’ame. La Revue ne s’est jamais abstenue de caractériser les talens auxquels elle devait le plus ; autrement il lui eût fallu se taire sur plusieurs des premiers écrivains de ce temps-ci. Le grand ouvrage que M. Sainte-Beuve prépare sur Port-Royal, et dont son prochain retour d’Italie hâtera, nous l’espérons, l’achèvement, nous sera une occasion naturelle de classer aussi à sa place, et dans la série de nos portraits, un des écrivains dont s’honore le plus la moderne littérature. Qu’il nous suffise de dire aujourd’hui que les deux derniers volumes des Critiques de M. Sainte-Beuve auront, comme les précédens, le succès sérieux et sans fracas qu’obtiennent les bons livres. Les convenances littéraires veulent que nous n’en disions pas plus, et qu’à propos d’un livre né de la Revue, on ne nous soupçonne point de ne mettre que de l’amitié là où il y a avant tout sympathie pour un grand talent.


Allemagne et Italie, par M. Edgar Quinet[1]. — L’Allemagne et Italie a la même origine que les Portraits, et les lecteurs de ce recueil connaissent à l’avance les deux remarquables volumes de M. Edgar Quinet. Les principaux morceaux écrits, depuis 1830, par M. Quinet, sont là, recueillis dans leur ordre logique, et on y peut saisir les nuances diverses et les très notables progrès de ce ferme et puissant prosateur. Dans les fragmens qui se rapportent à l’Allemagne, et qui, composés à des dates très diverses, sont ici rapprochés, il est facile de saisir la vaste courbe qu’a suivie son talent, et nous n’avons pas besoin de dire que nous préférons de beaucoup ce qu’il a écrit plus récemment. Les premiers morceaux sans doute ont toute la fougue, toute l’élévation d’une imagination jeune, ardente et non contenue ; c’est souvent un hymne qui tourne au verset biblique, une course rapide à travers des steppes éblouissantes, à travers de riches plaines dont on n’aperçoit qu’à la hâte les grands paysages. On sent que le temps doit venir pour calmer ce talent qui a le goût de l’élan hasardé et du cirque, qui préfère trop le bourdonnement d’une ruche emportée sur l’aile des vents au travail solitaire de l’abeille industrieuse, les sphères infinies et reculées de l’idéal à la triste et nécessaire poésie de la réalité. Dans ces études ardentes et qu’une si haute philosophie caractérise, se retrouvent déjà bien des pages sereines et écrites avec une admirable ampleur de style. M. Quinet a surtout le sentiment des grandes choses, des grandes

  1. vol. in-8o, chez Desforges, rue du Pont de Lodi, 8. 1839.