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GABRIEL.

encore libre. Vous pouvez faire triompher mes ennemis, avilir le nom que vous portez, souiller la mémoire de ceux qui vous ont donné le jour, déshonorer mes cheveux blancs… Si telle est votre résolution, songez que l’infamie et la misère retomberont sur vous le premier, et voyez si la satisfaction des plus grossiers instincts peut compenser l’horreur d’une telle chute.

GABRIEL.

Assez, assez, vous dis-je ! Les motifs que vous attribuez à ma douleur sont dignes de votre imagination, mais non de la mienne…

(Il s’assied et cache sa tête dans ses mains.)
LE PRÉCEPTEUR, bas au prince.

Monseigneur, il faudrait en effet le laisser à lui-même quelques instans, il ne se connaît plus.

LE PRINCE, de même.

Vous avez raison. Venez avec moi, monsieur l’abbé.

LE PRÉCEPTEUR, bas.

Votre altesse est fort irritée contre moi ?

LE PRINCE, de même.

Au contraire. Vous avez atteint le but mieux que je ne l’aurais fait moi-même. Ce caractère m’offre plus de garanties de discrétion que je n’eusse osé l’espérer. (Ils sortent.)

LE PRÉCEPTEUR, à part.

Cœur de pierre !


Scène VI.


GABRIEL, seul.

Le voilà donc, cet horrible secret que j’avais deviné ! Ils ont enfin osé me le révéler en face ! Impudent vieillard ! comment n’es-tu pas rentré sous terre quand tu m’as vu, pour te punir et te confondre, affecter tant d’ignorance et d’étonnement ! Les insensés ! Comment pouvaient-ils croire que j’étais encore la dupe de leur insolent artifice ? Admirable ruse, en effet ! M’inspirer l’horreur de ma condition, afin de me fouler aux pieds ensuite, et de me dire : Voilà pourtant ce que vous êtes… voilà où nous allons vous reléguer si vous n’acceptez pas la complicité de notre crime ! Et l’abbé ! l’abbé lui-même que je croyais si honnête et si simple, il le savait ! Marc le sait peut-être aussi ! Combien d’autres peuvent le savoir ? Je n’oserai plus lever les yeux sur personne. Ah ! quelquefois encore je voulais en douter. Ô mon rêve ! mon rêve de cette nuit, mes ailes !… ma chaîne ! (Il pleure