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RECHERCHES HISTORIQUES.

quelques années, par l’un de nos plus savans historiens, que l’état des colons et des serfs cultivateurs ne fut pas plus aggravé que celui des grands feudataires, par la chute des institutions monarchiques sous les petits-fils de Charlemagne. L’état des premiers fut, au contraire, considérablement amélioré, de même que celui des seconds, ou plutôt les uns et les autres quittèrent leur condition en même temps pour passer dans une autre toute différente et bien supérieure ; car de simples possesseurs qu’ils étaient jadis, ils se trouvèrent au Xe siècle de véritables propriétaires. À partir de cette époque, les chartes et tous les autres documens témoignent d’une grande révolution dans les moindres comme dans les plus hautes sphères de la société. Ce sont d’autres institutions, d’autres droits, d’autres usages. Les colons et tous les hommes non libres sont confondus avec les serfs pour ne composer avec eux qu’une seule classe de personnes. Les redevances et les services apparaissent sous une forme nouvelle, et ne représentent plus, comme autrefois, le prix du fermage ni les charges de l’usufruit : ce sont des droits féodaux payés par des hommes de pôté à leurs seigneurs. Les seigneurs levaient sur les habitans de leurs fiefs ce que les propriétaires francs ou romains percevaient jadis de leurs colons : il s’agissait de droits seigneuriaux et non plus de fermages. La propriété de son champ n’était plus contestée au villain, qui l’avait définitivement conquise : s’il a désormais à combattre, ce n’est plus pour la propriété, mais pour la franchise et l’indépendance de sa terre.

À partir de la fin du IXe siècle, le colon et le lide deviennent de plus en plus rares dans les documens qui concernent la France, et ces deux classes de personnes ne tardent guère à disparaître. Elles sont en partie remplacées par celle des colliberti, qui n’a pas une longue existence. Le serf, à son tour, se montre moins fréquemment, et c’est le villanus, le rusticus, l’homo potestatis, qui lui succèdent. Enfin l’ancienne unité terrienne, le mansus même se retire peu à peu ; de sorte que, si l’on descend jusqu’au XIIIe siècle, on ne trouve dans les livres censiers de ce temps presque plus rien de la physionomie des anciens polyptiques, tant alors étaient changées la condition des personnes et la condition des terres.


B. Guérard.