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n’était pas dû par celui qui ne possédait ni terres, ni serfs ; d’où il arrivait, comme on l’a vu, que l’homme libre renonçait à ses propriétés pour s’affranchir de ce service. Cependant celui qui, sans être propriétaire foncier, possédait un mobilier de la valeur de cinq solidi[1], s’adjoignait à cinq autres personnes placées dans la même position de fortune, pour fournir un homme à l’armée.

Les hommes libres établis sur un fonds étranger, et vivant sous le patronage d’autrui, étaient aliénés avec le fonds qu’ils habitaient et passaient dans le domaine du nouveau propriétaire. En 755, le roi Pépin fit à l’abbaye de Saint-Denis cession de la maison de Saint Mihiel et des biens qui en dépendaient, y compris les ecclésiastiques et les serfs. Long-temps après, en l’an 1000, un nommé Antelmus donna aux religieux de Cluni une terre avec deux hommes libres et leur patrimoine[2].

Il arrivait même que des hommes libres étaient vendus, donnés ou échangés isolément, c’est-à-dire sans le territoire occupé par eux. Ainsi, le roi Pépin céda au monastère de Saint-Gall plusieurs hommes libres du Brisgau, et au monastère de Morbach cinq hommes libres avec leur postérité. Mais je dois faire observer que ces concessions (confirmées, la première en 828, par les empereurs Louis-le-Débonnaire et Lothaire ; la seconde, par l’empereur Lothaire, en 840) comprenaient moins les personnes elles-mêmes, que les droits et les services auxquels elles étaient obligées envers le souverain.

Les hommes libres placés sous la puissance d’autrui pouvaient d’ailleurs améliorer leur condition, en faisant faire à leurs frais, par d’autres personnes, les services de jour et de nuit, dont ils étaient chargés. Ils pouvaient aussi la détériorer en se chargeant eux-mêmes de nouveaux services de cette espèce ; ils s’engageaient en effet à servir de toutes les manières[3]. Un grand nombre d’entre eux exerçaient aussi des professions réservées ordinairement aux serfs : les uns étaient pêcheurs, d’autres laboureurs, d’autres palefreniers, etc.

Souvent les hommes libres, pressés par la misère, se mettaient en servitude, en vendant leur liberté pour une somme d’argent ; mais,

  1. Environ 160 francs, parce qu’il s’agissait des nouveaux sous d’argent. — Voy. ma Dissertation sur le Système monétaire des Francs, tables VI et IX.
  2. Una colonia cum Francos duos (sic) Bernoardo et Leodegario atque eorum hæreditate ; servum vero, nomine Gotbertum, cum uxore sua, similiter ; item alium servum, etc. (Chart. Antelmi, à la Bibliothèque du roi, original.)
  3. Capitul., l. VII, c. 335. — Marculf., II, 27 ; et Append., 15.