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intérêts comme les siens ; que ce n’est pas, comme on l’a dit, par des sacrifices mutuels que les deux peuples doivent tendre à se rapprocher commercialement, mais en établissant, chose possible et même facile, un système d’échanges également avantageux à tous les deux ; qu’enfin on irait directement contre le but où l’on aspire, si l’on pouvait se résoudre à sacrifier, dans l’intérêt de ces relations, une industrie vitale. Aux partisans de la liberté commerciale, nous dirons qu’ils nous paraissent fort mal comprendre le principe même qu’ils invoquent. C’est un grand et beau principe que celui de la liberté commerciale, et nous espérons bien le voir triompher un jour ; mais ce n’est pas le moyen de préparer son triomphe que de l’invoquer sans cesse à contre-sens. La liberté est bonne de soi ; mais elle peut devenir funeste, quand on l’applique sans règle, et surtout quand elle arrive par exception. Au fait, est-ce la liberté qui règne aujourd’hui, ou le système protecteur ? Il s’agit de savoir si, dans un état de choses où tout se règle par la protection, où tout se place à son niveau, il est permis de choisir une industrie entre mille pour la livrer seule à toutes les chances d’un régime particulier ; si, lorsque la valeur de toutes les matières premières et de tous les agens du travail est altérée et grossie par le système en vigueur, il est permis de parler de liberté commerciale à nos manufactures. Ainsi entendue, la liberté ne serait qu’une fiction désastreuse et une cruelle dérision.

En industrie, comme ailleurs, la liberté demande l’égalité. Voulez-vous établir son règne, préparez-le par des mesures d’ensemble, lentes et graduées sans aucun doute, mais régulières et générales. La raison ne dit-elle pas, d’ailleurs, que si l’on veut affranchir successivement tous les genres de produits, c’est par les matières premières et les agens du travail qu’il faudra commencer ? Si la liberté doit être un jour la loi commune en France, et c’est à cette condition seulement qu’elle sera bonne, il est nécessaire, pour éviter les catastrophes, que toutes choses soient, autant que possible, ordonnées d’avance comme elle les ordonnerait elle-même. C’est pourquoi l’on doit s’appliquer à soutenir les industries qui réunissent, comme celle du lin, toutes les conditions naturelles de puissance et de durée, en abandonnant peu à peu celles qui n’ont pas de racines dans le pays.


Ch. Coquelin.