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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

un brevet. Il n’est pas inutile de dire qu’on n’est pas encore parvenu, même en Angleterre, à travailler le chanvre comme le lin. Ce n’est pas que le chanvre ne puisse se filer de la même manière, et à l’aide des mêmes machines ; mais son filament, beaucoup plus dur, a besoin d’être préalablement assoupli, et cette opération, qu’on n’était pas encore parvenu à exécuter par les machines, s’exécutait trop difficilement et trop chèrement par le travail manuel, pour que le chanvre devînt, dans les manufactures, l’objet d’une fabrication courante. Aussi ne le file-t-on, dans les établissemens d’Angleterre et d’Écosse, que très rarement, avec fort peu d’avantage et à des numéros très bas. M. Decoster, qui avait été témoin, pendant son séjour en Angleterre, des nombreux essais que l’on faisait de toutes parts pour inventer une machine propre à cet usage, se mit aussi à la recherche du problème, surtout après son retour en France, et ses efforts ne tardèrent pas à être couronnés du plus brillant succès.

Le battoir inventé par lui a été mis en usage, pour la première fois, il y a près de deux ans, dans l’établissement de M. Liénard, à Pont-Remy ; et, bien qu’il fût encore fort imparfait et sujet à plusieurs accidens, il rendait déjà de grands services. Dans la suite, il n’a pas cessé de s’améliorer. Aussi, sans prétendre qu’il n’ait plus de perfectionnemens à recevoir, on peut dire qu’il remplit aujourd’hui toutes les conditions d’un battage prompt, efficace, et par-dessus tout économique. Un ouvrier ne peut, à l’aide du maillotage qui est encore généralement usité, préparer que 15 livres de filasse de chanvre par jour, et encore la préparation en est-elle imparfaite : avec l’un des battoirs de M. Decoster, on en prépare 150 livres par jour, et l’opération est beaucoup mieux exécutée. Au reste, la valeur de cette machine a été constatée par une expérience décisive. C’est après l’avoir essayée et en avoir reconnu les avantages, que M. Mercier, d’Alençon, s’est déterminé à ne plus filer que du chanvre dans sa manufacture, résolution neuve, hardie en apparence, mais dans laquelle ce fabricant s’est affermi de jour en jour par de nouveaux succès. L’établissement de M. Mercier produit aujourd’hui couramment des fils de chanvre du no 30 et au-delà. Rien de semblable n’a été obtenu en Angleterre. Si les tarifs actuels sont maintenus, et si nos filateurs se trouvent en conséquence hors d’état de soutenir la lutte contre les fabricans anglais quant à la production des fils de lin, la fabrication du chanvre pourra, grace à la machine de M. Decoster, et pourvu que cette machine ne leur soit pas enlevée comme tant d’autres par leurs rivaux, leur offrir une belle compensation. Ce battoir sera d’ailleurs toujours d’un grand effet, puisqu’il ne tend à rien moins qu’à livrer à la filature mécanique cette immense quantité de chanvre qu’elle n’avait pu s’approprier jusqu’à présent. Une telle découverte, bien qu’elle n’ait pour objet qu’une des opérations préliminaires de la filature, est à elle seule presque une révolution.

Avec son outillage si complet et si riche, avec sa collection si variée de modèles de tous les genres ; avec toutes les inventions qui lui sont propres, et tous les perfectionnemens qu’il a produits, l’établissement de M. Decoster se place dès aujourd’hui hors de ligne. Il va sans dire qu’il marche à la tête de