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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

confectionnés ne le cèdent point en perfection à ceux que les Anglais eux-mêmes nous livrent.

En 1838, un nouvel établissement s’élève dans la rue Stanislas. Celui-ci est bâti tout d’une pièce, sur un terrain auparavant inoccupé, et dans des proportions plus vastes, dignes enfin de son objet. Il a pour moteur une machine à vapeur de la force de douze chevaux. Terminé au mois de septembre 1838, il commence ses travaux le 15 octobre. En peu de temps, on y voit réunis un nombre considérable d’ouvriers habiles, et, de plus, tous les modèles et tous les outils. Dès le commencement de 1839, trois ans après les faibles débuts qu’on vient de voir, cet établissement, joint aux deux autres, livre à l’industrie française de dix-huit cents à deux mille broches par mois, sans compter un nombre considérable de pièces et de machines de tous genres pour les opérations préparatoires ou préliminaires, et il achève de monter cinq filatures, parmi lesquelles figurent les deux plus considérables de celles que nous possédons jusqu’à présent.

Qui n’applaudirait à cette activité puissante ? C’est par elle que notre industrie a pris un corps et s’est enfin constituée. Par elle, ceux de nos filateurs qui ont été assez heureux ou assez habiles pour n’avoir pas recours à l’Angleterre, ont été exempts de ces tribulations qui ont accablé les autres. Ils n’ont pas eu à s’inquiéter, ceux-là, de la formation définitive de leurs établissemens ; ils n’ont pas épuisé dans le travail de cette formation ce qu’ils avaient d’énergie et de ressources ; ils n’ont eu qu’à bâtir, quand les bâtimens n’existaient pas, et leur matériel s’est organisé de lui-même, sans travail, sans lenteurs, et dans les meilleures conditions possibles, comme si l’industrie existait en France depuis vingt ans. Telle a été la facilité et la rapidité de leur marche, qu’ils ont devancé de bien loin la plupart de ceux qui étaient entrés avant eux dans la carrière. Exempts des soucis et des embarras de l’organisation première, ils ont pu aussi, mieux ou plus tôt que les autres, soigner le travail de la fabrication, et tourner leurs idées vers le progrès. C’est, en effet, une circonstance bien remarquable, que si quelque part l’intention du progrès se manifeste, c’est dans les filatures montées par M. Decoster ; et, ce qui n’est pas moins digne d’attention, c’est que, dès à présent, la production y est moins chère qu’ailleurs, vérité qu’il nous serait facile d’établir par des preuves irrécusables.

Au milieu de ces travaux d’exécution si rapides, si soutenus, et qui semblaient devoir absorber tous ses instans, M. Decoster ne laissait pas de s’occuper lui-même, avec plus de succès que personne, de perfectionnemens et de progrès. Non content d’avoir introduit peu à peu dans ses ateliers tous les outils dont on se sert en Angleterre, et qu’il avait étudiés sur les lieux, il en créait plusieurs. On trouve aujourd’hui, dans l’établissement qu’il a fondé, cinq ou six machines de ce genre, inventées ou perfectionnées par lui, soit pour remplacer celles qui répondaient mal à leur objet, soit pour remplir certains vides réels qui subsistaient encore dans les travaux mécaniques. Tous ces outils, simples mais ingénieux, sont d’un admirable service. Ils donnent aux pièces qu’ils façonnent une régularité encore plus grande, en même temps qu’ils