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mouvement des peignes, et qui nettoie régulièrement les aiguilles sans que l’ouvrier ait à s’en inquiéter. Dans l’autre système, rien de semblable. Ici, quand les barrettes arrivent à l’extrémité des vis supérieures, elles ne se renversent pas, mais retombent perpendiculairement sur les vis inférieures, qui les ramènent ainsi dans la même position, c’est-à-dire la pointe des aiguilles tournée vers le haut. Cette disposition est d’ailleurs inhérente à l’emploi des vis. Nul moyen alors de faire agir la brosse. Par une bizarrerie inexplicable, qui montre que l’esprit d’imitation servile se rencontre quelquefois avec l’intempérie d’innovation, cette brosse a néanmoins été conservée dans le nouveau système ; mais il suffit de jeter un coup d’œil sur les machines pour reconnaître qu’elle n’est plus là que pour la forme, qu’elle n’y a été mise que par imitation. Elle n’agit plus que sur le dos des barrettes, sans atteindre les aiguilles. Autant vaudrait qu’elle n’y fût pas. On dirait, à la voir agir ainsi dans le vide, qu’elle n’a été conservée que pour rappeler ce qui manque à ces machines, et pour attester l’imprévoyance du constructeur. Les aiguilles s’engorgent donc sans que rien y remédie. Pour les nettoyer, il faut de toute nécessité arrêter le mouvement et suspendre le travail : nouvelle perte de temps, qui devient bien sensible quand elle se renouvelle tous les jours et qu’elle se répète sur un grand nombre de métiers.

Ajoutez à cela que ces machines sont plus pesantes que les autres ; que les rouages en sont plus compliqués et plus lourds ; qu’il y entre par conséquent plus de matière et plus de main d’œuvre, en sorte que le prix en est plus élevé d’environ un cinquième ; qu’en raison de cette complication même des rouages, jointe à la dureté du mouvement, les accidens doivent être plus fréquens et la détérioration plus sensible ; qu’en outre le corps du métier y est comme encaissé dans ces énormes vis, qui l’obstruent de chaque côté, de manière qu’il est impossible de pénétrer dans l’intérieur à moins de tout démonter, ce qui rend les réparations plus difficiles, et vous comprendrez à combien d’égards ces machines sont inférieures à celles qu’elles prétendent remplacer. Quels avantages ne faudrait-il pas pour compenser tous ces inconvéniens ? Et que sera-ce s’il est vrai que les avantages sont nuls ? Ce n’est pas qu’après tout ces machines ne soient d’un beau travail ; la combinaison en est ingénieuse et l’exécution parfaite. Nul doute qu’elles ne produisent de tout aussi beau fil que les autres, puisque les procédés de la fabrication n’y sont pas altérés ; mais dans l’usage elles sont vaincues par les anciennes, en ce sens que, tout en coûtant plus cher, elles demandent une plus grande force et donnent moins de produits.

Telles sont pourtant les machines que plusieurs de nos filateurs ont adoptées. Si nous sommes bien informé, ce système n’a pas fait fortune en Angleterre, où l’on savait déjà par expérience que les tentatives de progrès ne sont pas toutes heureuses, et que dans les combinaisons nouvelles il y a toujours à prendre et à laisser ; mais il n’a que trop bien réussi auprès des filateurs inexpérimentés du continent, qui se sont laissés séduire par ces mots magiques : système nouveau. Il a suffi que ce prétendu système eût apparu le dernier,