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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

pas même altérés. C’est un changement dans les ressorts des machines, dans la manière de transmettre le mouvement ; changement purement mécanique, et qui laisse de tous points l’art du filateur intact. En deux mots, voici en quoi ce remaniement consiste. Dans l’ancien système, qui est encore généralement en usage en Angleterre, les rangées de peignes qui vont d’un appareil à l’autre dans les machines préparatoires, telles que la table à étaler, les étirages et le banc à broches, sont mises en mouvement par des chaînes tournant autour de deux arbres en fer placés à chaque extrémité de l’encadrement. Ces chaînes poussent en avant des barrettes qui portent les aiguilles, et les ramènent ensuite par dessous, de manière à former un mouvement continu. Les extrémités des barrettes sont du reste fixées dans des coulisses qui règlent leur mouvement et les soutiennent. Dans les machines plus nouvelles, les chaînes sont remplacées par des vis ou spirales. Deux vis placées de chaque côté de l’encadrement font marcher les barrettes en avant ; deux autres vis placées sous les premières les ramènent. C’est cette simple modification, regardée fort mal à propos comme une invention, car l’usage des vis est connu depuis long-temps en mécanique, qu’on a décorée du beau titre de système nouveau, en lui attribuant même, pendant un certain temps, toute la portée d’une révolution dans la fabrique.

On comprend que la substitution dont il s’agit ne change en rien la nature de l’opération, ni ses effets ; car les peignes seuls opèrent, et, qu’ils soient mus par des chaînes ou par des vis, l’effet produit est le même. Mais cette substitution, à ne la considérer que comme une fantaisie de mécanicien, et ce n’est guère autre chose, donne-t-elle au moins aux nouvelles machines une supériorité réelle sur les anciennes ? Loin de là.

En mettant les deux systèmes en présence, et en les comparant avec soin, nous avons cherché à nous expliquer les avantages que le dernier pouvait avoir sur l’autre, et ces avantages nous ont paru tout au moins hypothétiques. Mais pour les désavantages, ils sont frappans. D’abord, les vis sont incomparablement plus dures, plus difficiles à faire mouvoir que les chaînes ; ce que tout mécanicien comprendra facilement. Elles exigent donc une plus grande dépense de force motrice, circonstance qui n’est indifférente nulle part, et qui est surtout digne de considération dans un pays tel que la France, où la principale force motrice, la vapeur, est à si haut prix. Il paraît bien difficile d’ailleurs d’obtenir des vis le même degré de vitesse, même en employant une force plus grande. Il y aurait donc tout à la fois perte de force et perte de temps. Ce n’est pas tout. On comprend que les peignes agissant constamment sur la matière, dont ils sont destinés à maintenir les filamens, en retiennent à chaque fois quelque chose, et sont par conséquent sujets à s’engorger. Eh bien ! dans le système à chaînes, cet engorgement est toujours prévenu ou réparé. À mesure que les barrettes arrivent à l’extrémité de l’encadrement, et qu’elles passent dessous pour revenir sur leurs pas, elles se renversent, de manière que les pointes des aiguilles sont alors tournées en bas. On a donc pu disposer sous l’encadrement une petite brosse, qui tourne sans cesse dans un sens opposé au