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Si l’on juge de l’importance des établissemens qui existent par la somme des capitaux dont ils disposent, on trouvera que le plus considérable de tous est celui de la société Maberley, fondé près d’Abbeville, avec un capital de 4,000,000 de francs, susceptible d’être porté à 6,000,000. Après lui vient l’établissement de la société de Boulogne, capital 2,400,000 francs ; puis celui de M. Liénard, à Pont-Remy, capital 1,500,000 fr., et celui du Blanc, capital 1,200,000 fr. Mais, en ne tenant compte que de la puissance actuelle de production, il faut placer au premier rang la belle filature de M. Liénard, à Pont-Remy, qui fait déjà mouvoir plus de 4,000 broches, et ne tardera pas à en posséder 6,000. Ce magnifique établissement, monté avec des machines toutes de construction française, se place aujourd’hui hors ligne. Par son heureuse situation, aussi bien que par l’excellente composition de son matériel et la capacité de l’homme qui le dirige, il semble réservé au plus brillant avenir. La fabrication y a été long-temps interrompue pour des travaux d’agrandissement ; mais elle a été reprise, avec un redoublement d’activité, au mois de juin dernier. Les fils produits au milieu même des premiers embarras de cette reprise sont au nombre des plus beaux que nous ayons vus.

La somme totale des capitaux engagés dans notre industrie linière peut être estimée à 20,000,000 francs. Tout cela est encore bien peu de chose ; mais il ne faut pas tant considérer, dans une industrie qui débute, son développement actuel que ses conditions de vitalité et sa puissance d’accroissement. C’est sous ce dernier point de vue que nous allons l’envisager, en observant sa marche aussi bien que les circonstances au milieu desquelles elle se produit.

Certaines erreurs ont été commises au début dans le choix des modèles, et ces erreurs, il importe d’autant plus de les signaler qu’elles se renouvellent encore de temps en temps. Nos premiers importateurs, éblouis par les prodiges que la mécanique réalisait sous leurs yeux de l’autre côté du détroit, se prirent d’une sorte de respect superstitieux, qui ne leur permit pas de mettre en doute l’infaillibilité des mécaniciens anglais. Ils regardèrent comme des progrès toutes les innovations tentées par eux et les adoptèrent aveuglément. Les progrès accomplis étaient d’ailleurs si récens, qu’il était assez naturel de penser que l’on marchait toujours, et il était bien difficile de vérifier le fait, puisque les procédés de la fabrication étaient inconnus en France, et que les filatures anglaises étaient inabordables. De là vient que nos fabricans acceptèrent avec confiance tous les remaniemens qu’il avait plu aux constructeurs anglais d’essayer. Ils ne se demandèrent pas quels étaient les meilleurs modèles de machines, chose difficile à constater alors, mais quels étaient les plus nouveaux, leur nouveauté même étant à leurs yeux l’incontestable preuve de leur mérite. C’est cette idée, fausse à bien des égards, qui en a conduit plusieurs à faire de mauvais choix.

Parmi les remaniemens exécutés depuis quelques années, le plus considérable est la substitution du système à vis ou spirales au système à chaînes. Sur quoi porte ce remaniement ? Est-ce une innovation plus ou moins heureuse dans les procédés de la fabrication ? Nullement : ces procédés n’en sont