des calculs basés sur les résultats de quatorze années. C’est peu de chose, après tout, que 5 millions de kilog. de lins bruts ; la France en reçoit elle-même tout autant année moyenne. Le seul port de Riga en a expédié pour 27 millions en 1838. Il y a tel filateur, à Leeds, qui en consomme à lui seul 4 ou 5 millions par an. Pour déterminer accidentellement, en notre faveur, une exportation d’une si faible importance, il suffirait donc que cinq ou six de ces filateurs, voulant influer sur la détermination que le gouvernement français est sur le point de prendre à l’égard de l’industrie du lin, et sachant combien les intérêts de l’agriculture doivent peser dans la balance, se fussent entendus, et la supposition ne paraîtra pas invraisemblable à ceux qui connaissent l’esprit anglais, pour effectuer chacun, pendant quelque temps, une petite partie de leurs achats en France. Répétons-le d’ailleurs, 5 millions de kilog. de lin brut sont si peu de chose, relativement à la consommation totale de l’Angleterre, que la moindre circonstance qui soit venue troubler le cours ordinaire des choses a pu suffire pour déterminer par hasard une semblable demande, sans qu’on puisse en tirer aucune induction pour l’avenir. C’est la tendance générale qu’il faut considérer, et cette tendance, constatée par une succession imposante de faits, est évidemment à la décroissance de nos exportations.
Ainsi, toutes les branches de notre industrie linière sont attaquées à la fois. Sous la forme de fils ou de toiles, l’Angleterre nous apporte des matières étrangères qui suppriment d’un seul coup les travaux de nos cultivateurs, de nos filateurs et de nos tisserands. La culture, la filature et le tissage sont menacés d’une ruine commune, tant il est vrai que pour nous ces trois industries sont solidaires, et que la prospérité de l’une est intimement liée à la prospérité de l’autre.
On se ferait difficilement une idée du trouble et du désordre causés dans nos campagnes par cette invasion soudaine des produits étrangers. C’est, en effet, dans les campagnes que la perturbation s’est manifestée, puisque c’était là que notre industrie s’exerçait, et voilà pourquoi, sans doute, les habitans des villes n’en ont été d’abord que médiocrement émus. On a vu tout à coup les occupations suspendues, la vie comme arrêtée, et les routes couvertes de malheureux manquant de travail et de pain. Il est vrai que le mal ne s’est pas fait sentir partout avec une force égale. Il a sévi avec plus ou moins de rigueur, selon les directions que l’importation anglaise a prises, comme aussi selon la nature des fils et des toiles que l’on avait coutume de fabriquer. Quelques cantons ont été respectés ; mais ailleurs la misère a été portée en peu de temps à ses dernières limites.
Il résulte d’un tableau que nous avons sous les yeux, tableau fourni par M. Baude, alors député, que, dans les environs de Roanne, le nombre des fileuses, qui était en 1835 de 25,300, n’était plus, en 1837, que de 5,040 ; que la quantité de lin filé, qui était de 632,500 kilog. dans la première de ces deux années, était tombée à 180,600 kilog. dans la seconde ; enfin qu’il y avait eu dans cet intervalle une baisse de 8 pour 100 sur la matière première, et de 30 pour 100 sur la main d’œuvre. Au rapport de M. Moret, délégué du département de