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succession d’années ; et alors que trouve-t-on ? Cette augmentation qui s’est manifestée en 1838, au lieu de se montrer comme le commencement d’une progression suivie, n’apparaît plus que comme une de ces variations accidentelles que nous avons signalées tout à l’heure et dont la cause est dans l’inégalité des récoltes. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que cette exportation de 1838, que l’on présente comme un symptôme de progrès, est inférieure à celle de 1825, époque où la filature mécanique ne faisait que débuter en Angleterre ; qu’elle est inférieure encore à celle de 1831, époque où l’importation des fils anglais a commencé à se faire sentir en France. Mais, sans insister sur les rapprochemens particuliers, on peut faire une comparaison plus décisive. Le tableau qui précède comprend treize années ; en y joignant 1838, on en trouve quatorze, qui peuvent se diviser en deux périodes de sept années chacune. Eh bien ! dans la première de ces périodes, la moyenne de nos exportations pour l’Angleterre est de 1,346,408 kilog., et dans la seconde, qui comprend 1838, cette moyenne n’est plus que de 938,490 kilog. ; tant il est vrai que le fait particulier de 1838 ne prouve rien, et qu’en somme nos exportations pour l’Angleterre tendent plutôt à diminuer qu’à augmenter.

Mais on allègue l’exportation des quatre premiers mois de 1839, qui sort en effet des limites ordinaires : dans ces quatre mois, l’Angleterre a tiré de la France environ 1,600,000 kilog. de matières brutes ; quantité qui surpasse déjà la moyenne générale. C’est sur ce chiffre que M. Passy triomphe. Nous ne prétendons pas nier la valeur du fait ; mais il ne faut pas l’exagérer. Il faut envisager d’abord ses conséquences.

De ce que l’exportation s’est élevée pour les quatre premiers mois de 1839 à 1,600,000 kilog., M. Passy conclut qu’elle s’élèvera pour l’année entière à 5 millions. C’est à notre avis une conséquence bien hasardée. Il n’en est pas des produits agricoles comme des produits manufacturés : l’exportation de ces derniers suit ordinairement une marche assez régulière, en sorte que, sauf le cas d’une crise commerciale, les résultats obtenus dans les premiers mois d’une année peuvent servir de base pour calculer approximativement ceux de l’année entière. Mais il en est autrement des produits agricoles, et surtout d’un produit aussi variable que le lin. Ici, les accidens des récoltes déjouent tous les calculs, et il ne faut pas oublier d’ailleurs que l’année agricole ne coïncide pas avec l’année administrative.

Cela posé, deux observations bien simples suffiront pour faire comprendre à M. le ministre des finances qu’il s’est trop avancé.

Supposons d’abord qu’il soit vrai de dire, comme nous l’avons fait précédemment, que les Anglais n’ont recours à nos lins qu’à défaut des lins russes, il faudrait voir alors si en effet la récolte de la Russie a manqué, et comment son insuffisance a pu influer sur nos ventes. Suivant des lettres écrites de Riga, et datées du commencement de septembre 1838, la récolte de cette année se présentait comme abondante et de belle qualité ; mais ce n’est pas la récolte de 1838 qui a pu influer sur les achats effectués en France durant