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âge et se prendre corps à corps avec ce qui dominait cette société, avec l’église.

Toutes les fois que la satire apparaît dans notre littérature française du moyen-âge, c’est toujours avec beaucoup de verve et d’énergie, avec un charme de naturel et un bonheur d’expression que les autres genres littéraires sont loin d’offrir au même degré. Autant, comme je le disais, ce qui se rapporte à la poésie religieuse est, en général, pâle, décoloré, languissant, autant ce qui appartient à l’ironie, à la satire, est vif et inspiré. Ce déchaînement satirique est un grand fait historique, car dans cette portion si riche, si ardente de la littérature du moyen-âge, est le principe de la ruine et de la fin de la civilisation du moyen-âge. Chaque époque vit de sa foi ; et son organisation repose sur sa foi. Mais chaque époque a la formidable puissance de railler ce qu’elle croit, ce qu’elle est, et par là de se désorganiser elle-même. Pour les croyances, pour les formes sociales, comme pour certains malades, le rire c’est la mort ! c’est ce rire qui a tué le moyen-âge, car de lui sont nées les deux forces destructrices du XVIe siècle, très différentes l’une de l’autre par leur nature, mais qui avaient toutes deux pour caractère commun de combattre la société du moyen âge, en combattant l’église sur laquelle reposait tout l’édifice de cette société ; ces deux forces sont le protestantisme et l’incrédulité, les deux grands marteaux du XVIe siècle ! Ce sont eux qui ont frappé sur l’édifice et qui l’ont brisé, c’est par eux qu’un autre temps, une autre civilisation, ont été possibles. Eh bien ! tout cela a commencé par le sarcasme du moyen-âge ; et comment l’église aurait-elle pu tenir, quand on avait ri pendant trois siècles des reliques, des pèlerinages, des moines et du pape, quand les mêmes attaques se continuaient renforcées par la vigueur nouvelle que l’esprit humain puisait dans le commerce de l’antiquité ? Ainsi, aux limites d’une époque déjà parcourue on pressent par avance ce qui va agiter, ébranler la société et la pensée humaine dans les temps qui suivront.

Ces quatre grandes tendances, qui ont fourni à la littérature autant d’inspirations et de directions fondamentales, n’ont pas cessé après le moyen-âge ; elles se sont prolongées dans les siècles postérieurs, elles ont duré jusqu’à nous. L’inspiration chevaleresque a produit le roman et une grande partie de notre art dramatique ; l’inspiration religieuse n’a pas tari, le siècle de Louis XIV est là pour l’attester ; elle n’a pas même tari de nos jours, Dieu soit loué ! J’en atteste le génie de Châteaubriand, les belles pages de Ballanche, les beaux vers de Lamartine. La tendance qui porte invinciblement l’esprit humain