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provençale qui portent plus sur la forme que sur le fond, c’est à peu près tout ce que la France doit aux Arabes ; on a beaucoup vanté l’influence des Arabes sur la civilisation du moyen-âge. C’est surtout dans le dernier siècle que cette théorie a trouvé faveur. Son succès provenait en partie, je pense, d’une certaine hostilité au christianisme, en vertu de laquelle les hommes du XVIIIe siècle étaient très heureux de pouvoir attribuer une portion de la civilisation chrétienne aux ennemis de la foi ; l’on s’est exagéré en conséquence à dessein et à plaisir l’influence des Arabes. J’ai eu occasion[1] de la restreindre pour la chevalerie, qui n’est pas et ne saurait être musulmane par son origine, mais qui est chrétienne et germanique ; le christianisme et le germanisme forment, selon moi, la chaîne et la trame de ce tissu ; les Arabes y ont ajouté la broderie. Il en est de même de la rime, qu’il n’est pas besoin de faire venir d’Arabie, puisqu’on la voit naître naturellement et par degrés de la poésie latine dégénérée. Il en est de même de la scholastique, qu’on a dit être due aux Arabes, tandis qu’une étude plus approfondie de l’histoire de la philosophie dans les siècles qui ont précédé ceux qui nous occupent maintenant, a montré que jamais la dialectique d’Aristote et ceux de ses ouvrages qui la contiennent n’ont disparu de l’Europe, et n’ont cessé d’y être plus ou moins connus. Il en est de même encore de l’architecture du moyen-âge ; après l’avoir appelée gothique, on a voulu la faire arabe. Je crois volontiers qu’on a trouvé des ogives dans des mosquées très anciennes et jusque dans les ruines de Persépolis, de même que l’on en trouve en Italie dans les monumens étrusques ; mais l’ogive n’est pas l’architecture gothique ; cette architecture se compose de tout ce qui lui donne son caractère, et, prise dans son ensemble, elle porte trop évidemment le sceau de la pensée religieuse des populations chrétiennes, pour qu’on puisse chercher son origine hors du christianisme.

Si les influences que nous avons reçues au moyen-âge sont bientôt énumérées, il n’en est pas de même de celles que nous avons communiquées ; le tableau des secondes serait aussi vaste que le tableau des premières est restreint. Nos épopées chevaleresques, provençales et françaises, ont été le type des épopées chevaleresques de l’Angleterre et de l’Allemagne, qui n’en sont en général que des traductions, tout au plus des reproductions un peu modifiées ; et il en a été ainsi non-seulement pour notre héros national, Charlemagne, mais

  1. Voir la Revue des Deux Mondes du 15 février 1838.